Réforme des collectivités : un péril plane sur la Charente
[ Article Charente Libre du 08/04/10 ]
La réforme territoriale menacerait les départements. La Charente va-t-elle se dissoudre au profit de la Région ? Et si derrière cette question ou cette angoisse se cachait un problème d’identité ?
Michel Boutant a plusieurs fois réuni des élus ces derniers mois pour dire le mal qu’il pensait de la réforme territoriale.
«La Charente va-t-elle mourir ?», «Les frontières du département vont-elles disparaître ?», «Pourrais-je toujours dire que je suis charentais ?» Drôles de questions ? Pas tant que ça. Depuis quelques mois, on nous annonce la «mort» des départements. Une prophétie agitée par de nombreux élus au premier rang desquels on trouve les conseillers généraux. «C’est la fin d’une histoire, celle des départements», déclarait gravement Michel Boutant, le président du Département, lors du débat récent sur les orientations budgétaires et à l’occasion de plusieurs rencontres avec des élus. La démonstration est celle-ci : le conseil général va devenir une caisse enregistreuse chargée de redistribuer des fonds sociaux et d’administrer des services et des biens (équipements, collèges). Michel Boutant imageait ainsi : «On nous a rogné les ailes, coupé les pattes et la réforme en cours va nous clouer le bec.»
Une identité autour d’un nom de huit lettres
On le comprend c’est une disparition administrative qui est redoutée mais si l’échelon pertinent c’est la région, est-ce qu’on continuera à parler de la Charente ? Qu’en est-il des faits, que doit-on craindre vraiment et surtout est-ce que les Charentais imaginent la fin de ce qui fonde une partie de leur identité, un nom de huit lettres : Charente ? On pourrait reformuler la question à l’envi : «Qu’est ce qu’être charentais?», «Qui est charentais?» ou «Est-ce que mon journal devra changer de nom?»
Autant de questions qui peuvent paraître superflues, naïves ou dérisoires, mais que beaucoup de Charentais et d’autres Français se posent quand on leur dit que leur département est menacé. Alors, pour ouvrir un débat que les politiques ont saisi depuis quelques mois, nous avons voulu donner la parole à un panel, certes resserré, à des gens pour qui, vous le lirez, ce sujet est loin d’être anodin.
Un petit rappel historique. La Charente n’a pas toujours existé. Elle est née à la Révolution française, en 1790 autour de l’Angoumois et de son ancienne capitale, Angoulême, complétée de morceaux de Poitou, de Saintonge, de Marche limousine et du Périgord. Etiré des premiers contreforts du Massif central aux rangs de vignes caressés par la douceur océanique, notre département est traversé par la ligne de fracture entre la langue d’oc et la langue d’oïl. Il est composé d’hommes et de femmes dont certains ont leurs racines enfouies là depuis longtemps, d’autres sont de jeunes pousses comme les plus de 5.000 Britanniques débarqués depuis quelques années. N’oublions pas tous ceux qui loin d’ici se revendiquent Charentais.
Touche pas à mon département
«On veut nous diluer un peu plus.» «Après la décentralisation de De Gaulle, Sarkozy invente la recentralisation.» Il suffit de lancer le sujet pour comprendre qu’il agace. Gilles Renard, retraité de Ruelle, résume un sentiment diffus: «Dans ces temps de mondialisation, on a besoin de savoir que nos intérêts sont protégés par des élus proches et puis merde, on se sent charentais. Je crois que cette histoire a pesé très lourd aux régionales. Si Sarko continue, il éjecte en 2012.» Les élus locaux n’ont pas attendu pour réagir à l’image de Michel Boutant, patron de la Charente, qui a plusieurs fois réuni des élus pour dire son opposition aux réformes qui «menacent le département». Mardi, les départements ont poussé un coup de gueule. «Notre situation devient catastrophique», a dit le président de l’Assemblée des départements de France Claudy Lebreton. Arnaud Montebourg (Saône-et-Loire) a soufflé sur les braises: «Nous sommes en situation de perte de liberté et d’atteinte à notre autonomie. Nous menons un combat politique qui n’est pas celui de la gauche contre la droite, mais celui des territoires contre le pouvoir central qui ne veut pas les écouter.»