Nicole Bonnefoy : « Très sensible aux questions agricoles et environnementales, je travaille depuis 2004, avec Franck BONNET, Conseiller général du canton d’Aigre, à réimplanter la culture du chanvre en Charente.
Pour commencer, nous nous sommes intéressés à la partie noble de la plante, c’est à dire les fibres. En effet, les fibres peuvent être utilisées, plus particulièrement, en remplacement de la fibre de verre, dans les matériaux composites.
Puis, nous avons mobilisé des fonds importants du Conseil Régional pour la recherche avec VALAGRO (Valorisation des Agroressources) et l’Université de Poitiers, ainsi que pour le développement économique.
Ensuite, nous nous sommes regroupés avec des agriculteurs volontaires de notre territoire, des chercheurs et des industriels et les expériences qui ont été menées, soit en agriculture, soit dans l’industrie, soit sur le plan de la recherche fondamentale, doivent nous permettre maintenant de construire une » filière chanvre « en Poitou Charentes. Cette filière précisera la surface agricole à implanter pour répondre à la demande des industriels mais aussi l’outil de transformation des fibres à créer.
Bravo à tous les acteurs qui ont participé à cette expérience passionnante ! À tous ceux qui se sont investis et qui ont travaillé pour que ce projet novateur voit des avancées concrètes sur notre territoire, en terme de réorientation de l’agriculture, de l’environnement et de l’emploi. »
Recherche et développement : la valorisation éco industrielle du chanvre
Le retour d’une « écoculture » en Charente :
Le chanvre occupait jusqu’à la moitié du siècle dernier une place importante dans le paysage, l’économie et la vie quotidienne du monde rural charentais.
Comme le lin, le chanvre est une plante à fibres. Il était donc cultivé pour l’industrie du textile : fabrication de fil, de cordes, de voiles pour la marine, de linge de maison, et de vêtements.
A l’époque de la marine à voile une part importante du chanvre cultivé en nord Charente était destinée à approvisionner la corderie royale de Rochefort. On imagine la quantité de chanvre utilisée, quand on sait que sous Louis XIV, un vaisseau de premier rang portait près de 110 tonnes de cordages, sans compter la voilure…
On se rappelle également que le premier moteur Diesel fonctionnait à l’huile de chanvre et non au gazole !
Toutefois, avec l’avènement du nylon, et d’autres fibres synthétiques la culture du chanvre a progressivement été abandonnée et bon nombre d’entreprises spécialisées dans le travail du chanvre (teillage, filature, tissage) se sont trouvées obligées de se reconvertir ou plus radicalement de fermer.
Pourtant, les vertus du chanvre font aujourd’hui l’objet d’une ré-découverte.
→ Une plante « écologique »
La culture du chanvre ne réclame ni désherbage, ni pesticide, ni fongicide : c’est véritablement une culture « écologique ».
Par ailleurs, elle participe à l’amélioration des structures des sols.
Enfin, sa croissance très rapide et son importante production de biomasse en font un excellent fixateur de carbone.
→ Une graine aux qualités nutritionnelles de premier ordre
La graine oléagineuse du chanvre appelée couramment chènevis est connue pour être utilisée comme appât de pêche sportive.
Elle est riche en protéines et présente une teneur en matières grasses (33 %) proche d’autres graines oléagineuses comme le tournesol (46 % de matières grasses) ou le colza (44% de matières grasses). Mais contrairement à ces autres graines elle se singularise par une grande richesse en acides gras essentiels (les fameux omégas 3 et 6) et présente un rapport oméga 3 / oméga 6 parfaitement équilibré et conforme aux actuelles préconisations nutritionnelles.
La graine de chanvre est donc à juste titre reconnue pour ses qualités nutritionnelles.
→ Dans le chanvre : rien ne se perd !
Toutes les parties de la plante sans exception peuvent être valorisées :
La graine peut être valorisée comme aliment en oisellerie, comme appât de pêche, ou encore dans l’alimentation du bétail sous forme de tourteau. L’huile peut être consommée comme huile alimentaire, ou encore utilisée en cosmétique.
La chènevotte, partie ligneuse de l’intérieur de !a lige possède d’excellentes propriétés absorbantes : elle peut être valorisée comme litière pour animaux, comme paillage, ou encore comme isolant.
Enfin, matière noble, la fibre trouve encore aujourd’hui de nombreuses valorisations industrielles. Elle sert principalement à la fabrication de pâte à papier pour produire des papiers spéciaux (papier à cigarette, papier bible, papier fin pour catalogues). Des débouchés nouveaux apparaissent également avec de perspectives importantes dans l’industrie
automobile, aéronautique, nautique, et dans le bâtiment sur le marché des isolants.
Par ailleurs, même la poussière de chanvre issue des procédés de défibrage peut être valorisée dans des matériaux de construction.
→ Les variétés de chanvre industriel ne présente plus de toxicité
De nombreuses années de recherche ont permis de sélectionner des variétés de chanvre dont la teneur en THC (Le THC ou delta-9-tétrahydrocannabinol est la principale substance responsable des effets psychotropes du cannabis.) dans les feuilles est infiniment faible.
La teneur en THC des variétés de chanvre cultivées ne dépasse pas 0,2 %, ce qui fait qu’elles ne présentent plus de véritable toxicité. La variété Santhica par exemple possède une teneur en THC inférieure à 0,001 %.
→ Une culture qui contribue au développement de l’emploi en zones rurales
Le rapport réalisé par le cabinet Ernst and Young en septembre 2005 pour le compte de la commission européenne retient que les activités de culture et de première transformation du chanvre «jouent un véritable rôle structurant au plan économique et social » dans des zones très rurales. Une comparaison avec le blé montre que la culture du chanvre requiert 2 fois plus d’emplois que la culture du blé, et que les activités de première transformation du chanvre requièrent 2,3 fois plus de main d’œuvre que le blé au même stade.
L’intérêt de notre projet :
Depuis 2004, je travaille avec Franck Bonnet, Conseiller Général, à la création d’une filière chanvre en Nord Charente, impulsée par la constitution de l’association « PROVALEIC » (Association pour la production et la valorisation éco-industrielle du chanvre en Poitou-Charentes) qui a su fédérer autour du projet les acteurs institutionnels, les producteurs, les
industriels et les chercheurs.
L’idée est bien de développer cette filière avec de multiples objectifs :
- participer à la diminution de la teneur en CO2 de l’atmosphère en développant des cultures à forte consommation de carbone,
- limiter les pollutions par le développement de cultures à faibles besoins en intrants phytosanitaires,
- développer une filière créatrice d’emplois dans le milieu rural : le développement d’une unité de première transformation de chanvre pourrait aboutir en hypothèse basse à la création de 10 à 15 emplois directs, sans tenir compte des emplois induits en seconde transformation,
- contribuer à la production de connaissances par l’implication de la recherche et surtout mettre au point des procédés innovants dans le domaine des éco matériaux aussi bien dans le secteur du bâtiment que de la plasturgie,
- impliquer les scolaires en les sensibilisant à des matériaux alternatifs aux matériaux issus de la pétrochimie.
- La démarche engagée est bien une démarche intégrée et fédératrice. Elle permet par exemple, de tisser des liens nouveaux entre des agriculteurs producteurs de chanvre et des industriels non plus du secteur agro-alimentaire mais de la plasturgie et du bâtiment,
Le volet agricole :
La culture du chanvre est assez bien connue, en particulier pour sa simplicité et pour son faible niveau d’intrants.
Toutefois, de manière à affiner l’itinéraire technique adapté aux terres du nord Charente, des essais ont été réalisés en plein champ et suivis par la chambre d’agriculture de la Charente depuis 2005.
→ Quelques éléments de physiologie
Le chanvre, ou Cannabis sativa vulgaris est une plante originaire d’Asie Centrale, C’est une plante fibreuse à graine oléagineuse dont la tige peut atteindre 3 à 4 mètres de hauteur.
De la levée à la floraison, il se passe 4 mois. On le sème donc fin avril, début mai pour une récolte de graines prévue Un août, début septembre. Les fibres peuvent être récoltées juste après.
Sa racine est pivotante ; elle améliore la structure du sol. C’est donc un bon précédent de culture. Il a semble-t-il un effet positif sur le rendement de blé qui lui succède.
→ Potentiel de la culture en terre s de marais et en terres de Groies
Les rendements obtenus dans le cadre d’essais montrent clairement des résultats supérieurs en terre de marais qu’en terres de Groies, aussi bien sur la production de graines que sur la production de pailles.
Rendement moyen en graines :
Terre de marais → 16 quintaux /ha
Terre de Groies irriguées → 11 quintaux /ha
Terre de Groies non irriguées → 5 quintaux /ha
Rendement moyen en paille :
Terre de marais → 16,9 tonnes /ha
Terre de Groies irriguées → 9,5 tonnes /ha
Terre de Groies non irriguées → 5,2 tonnes /ha
Ces essais mettent en évidence les besoins en eau de cette culture. Même rustique, le chanvre apprécie les sols profonds, à bonnes réserves en eau et au pH neutre ou alcalin.
Les besoins en eau du chanvre s’établissent en Charente autour de 200 à 225 mm (pluie + irrigation. le cas échéant).
Les variétés tardives testées en Charente (type FELINA) apportent un plus en rendement paille, tout en présentant un véritable intérêt en production de graines.
→ Réussir le semis et garantir une bonne implantation de la culture
Pour assurer une bonne levée, rapide et homogène et pour favoriser la couverture rapide du sol, il est nécessaire d’être vigilant au respect des conditions suivantes :
- Disposer d’un sol suffisamment réchauffé. En effet, la température minimale de germination est de 4 à 5°C. Toutefois, pour permettre une levée rapide et optimale, il est préférable que le sol soit à 10-12 °C car la graine de chanvre est petite et ne dispose que de faibles réserves.
- Bien préparer le semis qui s’effectue aux environs de 45 kg / ha.
- Tasser le sol après semis pour favoriser le bon contact entre les graines et le sol.
- Apporter la fertilisation dès le semis.
→ Garantir le rendement graines et paille
Le rendement graines et pailles s’élabore sur la période courant de 3 semaines après le semis à la floraison. C’est le moment où les besoins en eau du chanvre sont les plus importants. Si cela s’avère nécessaire, selon le type de sols, c’est !e moment d’irriguer.
A partir de la floraison, l’irrigation n’est plus nécessaire.
→ La récolte : la période la plus délicate
La récolte est bien souvent double : les graines d’abord, la paille ensuite.
La récolte de la graine se fait avec une moissonneuse classique à 1,20 m du sol en moyenne.
La récolte de la paille se fait ensuite, avec une faucheuse. Il est recommandé de ne pas arracher le chanvre, comme on le fait pour le lin, afin d’éviter de récolter les racines qui sont dures et difficiles à séparer des fibres lors des opérations de première transformation.
La récolte est une opération qui nécessite du temps et un matériel solide.
Les recherches menées sur le chanvre en Poitou-Charentes :
Les travaux de recherches engagés en Poitou-Charentes sur le chanvre portent principalement sur l’étude de nouveaux débouchés avec des applications dans les domaines de l’aéronautique, du nautisme, de l’industrie automobile, ainsi que dans le domaine de la nutrition.
→ La recherche de nouveaux débouchés à forte valeur ajoutée
Les marchés correspondant aux débouchés historiques de la fibre de chanvre sont actuellement fortement en déclin, d’autres en phase de maturité ne peuvent justifier qu’on s’y investisse fortement.
Les travaux de recherche engagés en Poitou-Charentes sur le chanvre visent plutôt à faire émerger des débouchés à forte valeur ajoutée : débouchés dans le domaine de la plasturgie et de l’isolation.
Ainsi, l’Université de Poitiers, le CRITT Matériaux et VALAGRO se sont engagés dans un programme de recherche avec pour objectif de développer des matériaux de construction pour l’aéronautique et le nautisme entièrement recyclables, présentant les même caractéristiques technologiques que les matériaux à base de résines et de fibres synthétiques, et à des faibles coût de production. Aujourd’hui ces avantages semblent pouvoir être obtenus avec des matériaux construits à base de fibres végétales comme le chanvre.
→ Des marchés au potentiel colossal
Aéronautique : on utilise chaque année en Europe 120 000 tonnes de composites (résine époxy et fibres synthétiques)
Nautisme : il faut traiter les déchets correspondant à 20 000 bateaux mis hors d’usage par an (résine polyester et fibre de verre).
Ces recherches vont permettre d’optimiser la sélection des fibres de chanvre, de mettre au point des techniques d’élaboration de composites à base de chanvre et de valider ta durabilité des composites obtenus en caractérisant leurs propriétés microstructurales et mécaniques.
→ Des perspectives dans le domaine de la nutrition
Les qualités nutritionnelles de la graine de chanvre ont été testée dans le cadre d’un essai mené par le lycée agricole de l’Oisellerie (La Couronne) et l’ENILIA de Surgères (Ecole Nationale des Industries Laitières).
Les vaches laitières de l’exploitation agricole du lycée de l’Oisellerie ont été nourries avec un aliment complémenté en graines de chanvre. Les résultats de l’essai ont été très positifs : le lait produit par ces animaux a été ainsi naturellement enrichi en acides gras essentiels (oméga 3 et oméga 6). Par la suite, ce lait a été utilisé pour la fabrication de fromages et de beurre par l’ENILIA. Le beurre produit naturellement enrichi en oméga 3 et 6 a montré également des qualités sensorielles supérieures.
Ainsi, comme le lin, le chanvre présente un intérêt tout particulier sur le marché de aliments à forte valeur nutritionnelle.
→ Des perspectives répondant aux besoins futurs de la société
Des travaux ont permis de démontrer que la chènevotte possède des propriétés pour absorber des polluants comme des métaux lourds.
Des applications peuvent être envisagées pour la dépollution des eaux industrielles , ou encore pour la dépollution des eaux naturelles contaminées par des pesticides, des phénols, des hydrocarbures ou des détergents.
Par ailleurs, des essais réalisés sur la fibre de chanvre ont permis de réaliser des matériaux biodégradables (construction de pots horticoles qui pourront à terme simplifier l’organisation des chantiers de végétalisation ou de reboisement).
Conclusion
La demande industrielle de matériaux facilement recyclables sera de plus en plus importante. Pour répondre à cette demande, les travaux de recherche sont indispensables, et démontrent déjà le bel avenir des fibres végétales.