Nicole Bonnefoy : «Les risques des pesticides sont sous-évalués»

31 octobre 2012 | Non classé

[ Article Charente Libre du 31/10/12 ]

Nicole Bonnefoy : «Les risques des pesticides sont sous-évalués»

La sénatrice Nicole Bonnefoy est à l’origine d’un rapport sur les pesticides, tout juste publié. Un travail qui fait peur. Inspiré par Paul François, l’agriculteur de Bernac intoxiqué à l’herbicide.

Nicole Bonnefoy a bien entendu les alertes venues des deux cas charentais. Elle a voulu plonger au coeur du dossier. Photo : P. Messelet
Nicole Bonnefoy a bien entendu les alertes venues des deux cas charentais. Elle a voulu plonger au coeur du dossier. Photo : P. Messelet

Les combats de Paul François, agriculteur de Bernac dans le Ruffécois, intoxiqué à l’herbicide, et de Jacky Ferrand, le père d’un viticulteur de Gondeville mort d’un cancer de la vessie, ne pouvaient pas laisser indifférente la sénatrice socialiste charentaise Nicole Bonnefoy. Celle-ci a décidé de prendre le sujet à bras-le-corps et a pris l’initiative d’un long travail sur l’impact des pesticides sur la santé.

«J’ai voulu être rapporteur, sourit Nicole Bonnefoy, parce que c’est celui qui rédige et qui fait tout le boulot.» Elle montre fièrement l’ouvrage qui vient d’être publié: «Pesticides, vers le risque zéro» (1). Un pavé de 348 pages bien denses, fruit des sept mois de travail de 27 sénateurs de tous bords qui ont entendu plus de 200 personnes – agriculteurs, responsables de la Mutualité sociale agricole (MSA), médecins, scientifiques, industriels – au cours de multiples déplacements, de la Charente à la Bretagne.

Quels principaux enseignements avez-vous tiré de ces entretiens?

Nicole Bonnefoy. Les risques des produits phytosanitaires sont sous-évalués à tous les niveaux. Quand il y a des accidents, ils ne sont pas recensés. Je l’ai vérifié en Charente. Les agriculteurs présents disaient: «Oui, ça m’est arrivé une fois de perdre connaissance, d’avoir très mal à la tête.» Mais ce sont des gens qui sont durs à la peine, et qui ne vont pas voir un médecin pour si peu. Les pesticides peuvent provoquer des problèmes de peau, des maladies respiratoires, des cancers, des maladies de Parkinson. Les cancers ne sont pas recensés.

Les agriculteurs ne tiennent pas de registre des produits qu’ils utilisent. Les études sur les effets des produits phytosanitaires sont insuffisantes, notamment sur les perturbateurs endocriniens. Nous avons entendu des témoignages éprouvants, comme ceux des scientifiques sur les perturbations hormonales qui en découlent: des petites filles pubères à 7 ou 8 ans avec déjà des seins; des garçons qui ont des malformations génitales.

Quels problèmes posent les études qui existent?

Les firmes qui fabriquent ces produits ont leurs propres labos. Elles font des tests sur des rats pendant trois mois en expliquant que trois mois de la vie d’un rat, c’est l’équivalent de 70% de la vie d’un homme. Il n’y a aucune étude sur la durée, or ces substances agissent sur des dizaines d’années. Il faut absolument un suivi post-fabrication sur le long terme. Les études ne portent que sur un produit à la fois, sans tenir compte de l’effet cocktail, alors que les agriculteurs sont exposés à plusieurs substances. On ne peut pas dire qu’il n’y a pas de danger tant qu’on n’a rien testé sérieusement. Nous demandons que les travaux soient menés par des laboratoires indépendants.

Comment avez-vous été reçus dans les firmes?

Nous avons été bien reçus partout. Surtout dans les firmes. Mais j’ai été frappée de voir le degré de protection des salariés dans ces usines, alors que les produits circulent dans des tuyaux et qu’ils ne les manipulent jamais directement. Les locaux sont aspirés en continu et les employés ont des combinaisons intégrales très impressionnantes. Ce qui contraste singulièrement avec ce qui se passe chez les agriculteurs qui manipulent parfois ces produits à mains nues ou avec des protections très insuffisantes. Parfois, ils ne sont pas conscients du danger. Parfois, ils se croient protégés et ne le sont pas. Pour les particuliers, en grandes surfaces, le désherbant atterrit dans le chariot entre le yaourt et le steak et le mode d’emploi est illisible.

Sur quelles mesures concrètes peut déboucher ce rapport?

Nous avons rédigé une centaine de préconisations. Comme rendre plus lisibles les précautions d’emploi des produits phytosanitaires. Renforcer la recherche. Améliorer la formation des jeunes dans les lycées professionnels. Interdire la présence de produits dangereux dans les supermarchés. Instaurer un registre des cancers dans les départements. Certaines préconisations peuvent être mises en place tout de suite, d’autres demanderont plus de temps. Nous allons proposer des amendements sur tous les textes de lois qui passent. On peut aussi être à l’origine de propositions de loi. Le service après-vente va être très important.

Les mentalités sont-elles assez mûres pour accepter vos préconisations?

Les collectivités, même si beaucoup vont vers l’objectif zéro pesticide, sont confrontées aux réactions des gens qui râlent parce qu’il y a de l’herbe sur les trottoirs. Il faut que les consommateurs acceptent que des pommes n’aient pas toutes le même calibre. Mais il y a quand même une prise de conscience. L’agriculture bio, ce n’est pas rétrograde, mais infiniment moderne. Les agriculteurs bio ne sont pas des babas cool rêveurs, mais des gens diplômés. Pour que les mentalités changent, il faut garantir la viabilité des exploitations. Et il faut développer les produits non dangereux pour les particuliers et les collectivités. Nous devons faire attention à ce que nous laisserons à nos enfants. […] Article Charente Libre

(1) «Pesticides, vers le risque zéro», mission d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé, présidée par Sophie Primas, sénateur UMP des Yvelines, rapporteur Nicole Bonnefoy.

Dossier :

Dossier : Pesticides et impact sur la santé et l’environnement
Rapport : « Pesticides : Vers le risque zéro »

En savoir + :

Sénat : Mission commune d’information portant sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement
Plateforme contributive : Produisons autrement
Plan Ecophyto
Association Phyto-victimes

Revue de presse :

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