Pesticides : La chimie, c’est presque fini
02/14 | Article M Le Magazine du Monde par E. Mignot
La chimie, c’est presque fini
Ils ne seront pas au Salon de l’agriculture, qui ouvre ses portes le 22 février. Entre défilé des politiques et concours agricoles, pas sûr qu’on évoque leur problème. Eux, ce sont des éleveurs, viticulteurs ou céréaliers, qui ont pris conscience de la nocivité des produits phytosanitaires, après la mort d’un proche ou une maladie. Mais il n’est pas si simple de s’en passer. A défaut de basculer vers le bio, ces paysans pratiquent une agriculture de compromis.
- Caroline Chenet a perdu son mari en 2011, intoxiqué chronique au benzène. Depuis, elle a repris la gestion de l’élevage de bovins à Saujon (Charente-Maritime) qu’elle aimerait passer en bio. Photo : G. Rivière
Paul François est un rescapé. En février 2012, cet homme a gagné un procès contre Monsanto. La firme de Creve Cœur, dans le Missouri, a été jugée responsable de son intoxication aiguë au Lasso, un herbicide qu’elle fabriquait. Mais le géant américain a fait appel. David et Goliath n’en ont pas terminé. En 2004, Paul François avait inhalé ce désherbant – depuis retiré de la vente – en nettoyant une cuve. Après des mois d’hospitalisation, il a gardé des séquelles neurologiques et doit aujourd’hui travailler à mi-temps. Le quinquagénaire n’a plus le droit de manipuler de pesticides. Pourtant, ses deux salariés le font encore. Y compris de la marque Monsanto.
« Une exploitation, c’est pire qu’un paquebot à faire changer d’orientation, explique le céréalier. Dès 1995, bien avant mon accident, nous avions déjà diminué de 30 % les produits phytosanitaires. Pas pour des raisons de santé ou d’environnement mais parce que les rendements diminuaient. On s’est aperçu que l’agriculture intensive était une fuite en avant. » L’homme d’affaires agricole, smartphone vissé à l’oreille et mèche poivre et sel, déclare pratiquer désormais une « agriculture raisonnable ».
Il entend diminuer encore l’usage de produits chimiques, pour faire des économies, mais pas s’en passer complètement. Même si ces « produits phytosanitaires » ont failli lui coûter la vie, il leur alloue encore aujourd’hui deux locaux dans sa grande et belle ferme de Bernac, en Charente. La terminologie censée être rassurante désigne les pesticides que le céréalier répand, plusieurs fois par an, sur les 260 hectares de son exploitation charentaise.
Par ailleurs, il est également président de Phyto-Victimes, une association créée en 2011 pour venir en aide aux agriculteurs victimes de pesticides. En janvier, il a même reçu la Légion d’honneur au nom de cet engagement. Paul François a opté pour le compromis.
LENTE PRISE DE CONSCIENCE
Comme lui, les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à remettre en question le tout-chimique. Qu’ils aient touché les limites économiques de cette pratique qui finit par appauvrir leurs sols ou qu’ils aient compris les dangers pour eux, leurs proches, l’environnement et le consommateur, de l’agriculture intensive. La prise de conscience est en marche. Mais elle est très lente. La France figure toujours parmi les premiers utilisateurs de produits phytosanitaires en Europe.
En octobre 2012, un an après la création de l’association Phyto-Victimes, Nicole Bonnefoy, sénatrice de Charente, rendait un rapport consacré à l’impact des pesticides sur l’environnement et la santé, assorti d’une longue liste de recommandations. Elle avait auditionné une centaine de personnes, dont Paul François. L’association et le rapport ont mis le département agricole sous les projecteurs. « On entend souvent qu’avant les produits étaient pires, qu’on avait moins de protections qu’aujourd’hui… Sans doute, déclare la sénatrice socialiste. Mais ils restent dangereux ! Il n’y a qu’à voir comment, dans les usines où on les fabrique, les salariés prennent d’infinies précautions. On ne peut donc pas continuer avec le tout-chimique. »
Son rapport a été adopté à l’unanimité, en juillet 2013, par les membres de la mission parlementaire mais sa proposition de loi n’a pas été mise en discussion au Sénat. L’élue aux yeux charbonneux essaie donc, à coups d’amendements, de faire passer ses recommandations dans des projets sur la santé, la consommation, la biodiversité, l’agriculture… Plusieurs fois confrontée aux lobbys des grands fabricants de pesticides, qui répètent à l’envi que le lien entre certaines maladies et leurs produits n’est pas prouvé, la socialiste demande aussi que les décès et les accidents dus aux pesticides soient mieux comptabilisés. […] Lire la suite de l’article