Retour sur plus de cinq années de travail sur les problématiques santé et environnement liées aux pesticides

21 novembre 2017 | Tribune libre

21/11/17 | Tribune libre de Nicole Bonefoy

Retour sur plus de cinq années de travail sur les problématiques santé et environnement liées aux pesticides

A l’occasion d’un récent entretien avec une journaliste du Monde Diplomatique sur l’exposition des travailleurs aux produits phytopharmaceutiques, je dressais un bilan du travail portant sur les pesticides que je mène depuis 2012. Je tenais à partager avec vous ce constat et quelques-unes de mes réflexions sur cette thématique complexe.

Le rapport de la mission d’information sénatoriale, publié en 2012, formulait les conclusions principales suivantes :

– Les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont encore sous-évalués ;

– Le suivi des produits pesticides après leur mise sur le marché n’est qu’imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels ;

– Les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques qu’ils font peser, sur leurs utilisateurs comme sur le reste de la population ;

– Les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles ne prennent pas suffisamment en compte la problématique de santé ;

Des progrès ont depuis été accomplis, avec la traduction législative d’une bonne part de la centaine de recommandations du rapport, notamment à l’occasion de la loi agricole de 2014 :

– La mise en place d’un suivi des produits après leur mise sur le marché ;

– L’instauration d’un dispositif de surveillance sanitaire et environnementale sur tout le territoire (phytopharmacovigilance) ;

– L’obligation faite aux distributeurs de délivrer un conseil personnalisé lors de la vente des produits,

– L’encadrement des épandages à proximité de lieux sensibles (écoles, crèches, maisons de retraite…) ;

– La proposition de loi Labbé interdisant l’utilisation de pesticides dans les lieux publics et la vente aux non professionnels ;

– L’interdiction des épandages aériens ;

– La création d’une taxe sur le chiffre d’affaires généré par la vente de produits phytopharmaceutiques, en vue de renforcer les moyens de l’ANSES dans ses missions de sécurité sanitaire, et peut-être un jour d’abonder le fonds d’indemnisation des victimes des pesticides ;

– L’interdiction progressive des néonicotinoïdes d’ici 2020, que le Gouvernement actuel devra faire respecter ;

– L’introduction de l’action de groupe en matière environnementale (dans la loi sur la justice du XXIe siècle).

Concernant les expositions, le rapport insistait sur le fait qu’en matières de pesticides, le principe classique de toxicologie d’après lequel « la dose fait le poison » ne tient plus, en particulier pour les produits ayant des effets de perturbateurs endocriniens. La nocivité n’est plus liée au niveau d’exposition et, si une personne en bonne santé et dans la force de l’âge peut être exposée sans conséquences à des doses relativement lourdes, des personnes plus fragiles, enfants, femmes enceintes ou personnes âgées par exemple, peuvent être gravement affectées par des expositions à des doses minimes.

Cela touche à plusieurs des problématiques essentielles sur lesquelles des progrès devront nécessairement être réalisés :

La prise en compte de l’exposition des habitants riverains d’exploitations où sont épandus des produits phytopharmaceutiques. La levée de bouclier du monde agricole est systématique sur ce point, probablement car une part importante des agriculteurs prend comme une attaque contre eux la prise en compte de ce sujet, alors qu’en réalité c’est en premier lieu la communauté agricole qui paie le plus lourd tribut à la nocivité de ces produits.

Il convient d’insister sur le fait que ce sont les industriels qui font mettre sur le marché des produits, dont la nocivité est pourtant établie, qui ont la responsabilité et la faculté de développer des produits agricoles alternatifs, qui en sont les premiers responsables ; et non pas les agriculteurs, qui sont captifs des produits et des pratiques agronomiques qui sont devenues la norme à partir de l’après-guerre, et sont les premières victimes de leurs effets. Cela n’absout pas les exploitants qui ne respectent pas les règles d’épandage, mais ceux-là constituent une petite minorité.

Nous parlons ici de maladies telles que Parkinson, des cancers de la peau ou de la prostate, des leucémies qui se développent chez des enfants dont les mères ont été exposées, et dont la communauté scientifique indépendante a établi les liens forts de causalité avec l’exposition aux pesticides. Ainsi, l’Institut National de Veille Sanitaire de la région Aquitaine a par exemple publié en août 2015 les résultats d’une investigation qui constatait que l’exposition aux pesticides dans une commune du sud-ouest avait conduit en 20 ans à un nombre de cancers pédiatriques, chez les enfants, 6 fois plus élevés que dans la moyenne nationale.

Nous avons pourtant affaire à un tabou et, ces dernières années, mes nombreuses tentatives (loi agricole, loi biodiversité…) de faire aboutir des amendements dans ce sens, pourtant extrêmement mesurés, se sont heurtées à un assaut de lobbying extrêmement puissant d’une partie des représentants agricoles, relayés par une partie des responsables politiques.

Sur les perturbateurs endocriniens, la mise au point d’une définition par la Commission européenne a été retardée de nombreuses années, plus de cinq ans par rapport à son obligation, qui aurait de toute façon dû être respectée bien avant. Cela a d’ailleurs conduit la Cour de justice de l’UE à condamner en 2015 la Commission. Durant tout ce temps, cela a conduit tout simplement à ce que le caractère de perturbateur endocrinien ne soit pas même examiné pour tous les produits faisant l’objet d’une demande d’autorisation sur le marché au sein du marché commun européen.

Le 4 juillet dernier, la France a finalement validé la définition des perturbateurs endocriniens proposée par la Commission européenne, et sur laquelle seront basées les réglementations applicables aux metteurs sur le marché de produits PE.

Les « nouvelles garanties » données par la Commission européenne apparaissent se situer en deça du principe de précaution, puisque sont principalement annoncées de nouvelles études et évaluations pour mesurer la dangerosité des PE. En attendant les résultats de ces dernières, les critères aujourd’hui retenus permettront l’autorisation de mise sur le marché de PE « ayant des effets nocifs sur les humains », comme le rappelle l’Endocrine Society, qui rassemble 18 000 chercheurs et cliniciens spécialistes du sujet.

Comme l’indiquait Le Monde en juillet « la France n’a obtenu aucun nouveau progrès ni avancée, puisque le document signé le 4 juillet n’a pas changé d’une virgule par rapport à celui qui était sur la table avant la formation du nouveau Gouvernement ».

Le retrait du risque chimique dans le compte pénibilité. La déclaration et la mesure de l’exposition aux risques chimiques était un progrès du précédent quinquennat, puisqu’il devait notamment contribuer à la prévention de ces maladies contractées au travail, qui tuent régulièrement, et qui ne font que rarement et faiblement l’objet de reconnaissance en maladies professionnelles ; cela est notamment dû au fait que le suivi lacunaire de l’exposition rend régulièrement impossible la détermination des causalités et des responsabilités dans l’empoisonnement.

Il est à espérer que la nouvelle mission sur le sujet annoncé par la ministre de la santé Agnès BUZYN permette véritablement d’avancer sur le sujet, et n’ait pas pour unique but de l’éviter, en le renvoyant à la remise du rapport de la mission, pendant les discussions à venir sur les ordonnances de la loi travail 2.

La disparition des CHSCT qui est programmée avec cette nouvelle « loi travail » constitue un sujet d’inquiétude supplémentaire et majeur quant aux intentions réelles du Gouvernement sur la prise en compte de la santé environnementale et au travail.

La proposition de loi pour la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits pesticides, que j’ai déposée en juillet 2016, vise à améliorer la situation des malades et de leurs familles.

Elle vise à compléter le dispositif de réparation du préjudice subi par les personnes atteintes de maladies liées à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, que ces maladies soient ou non d’origine professionnelle, par la création d’un fonds d’indemnisation abondé par les fabricants de ces produits.

La prise en charge de la réparation intégrale des préjudices des victimes s’articulerait entre l’indemnisation des préjudices économiques (le préjudice professionnel, les frais de soins restant à la charge de la victime, les autres frais supplémentaires…) et l’indemnisation des préjudices personnels (le préjudice moral, le préjudice physique, le préjudice d’agrément…). Elle devrait compléter la prise en charge des soins et l’indemnisation versées par les organismes de sécurité sociale, en faisant cette fois assumer cette responsabilité aux fabricants par la taxation du chiffre d’affaire réalisé sur le produit de leurs ventes.

Le problème essentiel est que la mise en danger collective des travailleurs et utilisateurs de nombreux produits nocifs demeure autorisée et pratiquée, en connaissance de cause, et ce généralement au motif paradoxal que les liens de causalité ne peuvent être établis avec précision.

Nous touchons en effet aux « risques invisibles » dont la matérialité n’est établie que lorsque se manifestent ses effets, parfois plusieurs décennies après l’exposition. Une étude de 2005 du Ministère du travail estimait qu’environ 2,3 millions de salariés étaient professionnellement exposés à des cancérogènes, et que plus d’un tiers d’entre eux ne bénéficiaient d’aucune protection collective contre les risques engendrés par ces produits toxiques.

Jusqu’à présent, la justice a cherché à établir la preuve du lien de causalité entre la maladie ou la mort de victimes prises individuellement, et la substance incriminée, alors que la preuve devrait reposer exclusivement sur une exposition de nature collective, sachant que le désastre provoqué est collectif et que l’auteur savait qu’il se produirait.

La manière de fonctionner de la justice pénale, aujourd’hui, consiste à rechercher la causalité exacte dans la survenue de maladie : qui est la personne responsable de la maladie ? À quel moment exact s’est-elle déclenchée ?

Le 27 octobre 2017, s’est tenu au Sénat un colloque intitulé « Justice pénale et mise en danger industrielle », à l’initiative de l’Association Henri Pézerat (santé, nature, environnement), dont j’ai été marraine de l’organisation.

Comme l’indiquait l’une des avocates qui y est intervenue, cette approche qui confine à l’absurde est la même que celle qui consisterait à rechercher quelle est la cigarette qui a provoqué le cancer d’un fumeur.

La nouvelle demande de non-lieu faite par le parquet cet été dans le dossier de l’amiante, en raison de la présumée impossibilité de dater le début de l’intoxication des victimes, est un énième témoignage éloquent de l’inadaptation du droit à cette problématique de l’empoisonnement collectif des travailleurs à des risques chimiques invisibles.

C’est sur ce sujet des « crimes industriels » et de la mise en danger collective d’autrui, à travers l’exposition en connaissance de cause à des substances dangereuses, qu’un nouveau travail a été engagé depuis plusieurs mois avec Annie THEBAUD-MONY, sociologue à l’INSERM et présidente de l’Association Henri Pézerat (santé, nature, environnement), et les avocats François LAFFORGUE et Jean-Paul TEISSONNIERE, experts dans le domaine de l’indemnisation des victimes de catastrophes industrielles, sanitaires et environnementales.

Un état des lieux de la problématique et des pistes de travail ont été dressés lors de ce colloque, dont vous pouvez retrouver ici la vidéo en intégralité.

Dossier :

Dossier : Pesticides et impact sur la santé et l’environnement
Texte : La proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques
Rapport : « Pesticides : Vers le risque zéro »

En savoir + :

Sénat : Mission commune d’information portant sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement
Plan Ecophyto
Association Phyto-victimes