Constat alarmant d’une société individualiste qui décline

30 mars 2011 | Actualités / Sénat

[ Tribune libre de Nicole Bonnefoy du 30/03/11 ]

Constat alarmant d’une société individualiste qui décline

Dans le cadre de la commission des lois du Sénat dont je suis membre, j’ai auditionné le Médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, qui vient de rendre public son rapport annuel le 21 mars dernier.

Rapport annuel 2010 du Médiateur de la RépubliqueIl dresse, une nouvelle fois, un bilan plus qu’inquiétant de notre société actuelle où, à la violence croissante des rapports humains et à la montée de l’individualisme, vient s’ajouter une profonde crise de confiance des citoyens dans ses institutions et ses dirigeants. Comme l’année dernière, j’ai été sensible à ce travail de qualité, loin de toutes convictions partisanes ou politiques. J’espère sincèrement que nous, élus, trouverons le courage et la capacité d’apporter des réponses aux attentes de nos concitoyens, autant au travers de nos comportements individuels que des politiques que nous mettons en œuvre. Je tiens à vous présenter les enseignements principaux de ce rapport dont le constat implacable et alarmant, doit nous pousser tous, en tant que citoyens et républicains, à nous interroger sur la société que nous voulons pour demain.

I | Intoduction

Dès l’édito de son rapport, le Médiateur de la République, fort des 80.000 affaires traitées par son institution cette année, nous fait part de ses nombreuses inquiétudes. Pour lui, nous sommes aujourd’hui dans une société de l’affrontement où les sentiments d’abandon et d’injustice n’ont jamais été aussi forts. Les français sont persuadés de ne pouvoir compter que sur eux-mêmes et ne croient plus en un destin collectif. Ils sont découragés et aucune réponse politique ne semble être à la hauteur de leurs attentes. « Les débats sont minés par les discours de posture et les causes à défendre noyées parmi les calculs électoraux », précise le Médiateur avant d’ajouter que nous nous retrouvons ainsi dans un paradoxe car « jamais l’engagement individuel et collectif n’a été aussi nécessaire et jamais le découragement et la lassitude n’ont été aussi grands ».

Le Médiateur dépeint une société qui décline, régie par trois grands sentiments : les peurs, les espérances et les humiliations. Ces émotions ont pris le pas sur la réflexion et l’individualisme a pris l’ascendant sur le collectif, avec les conséquences que cela engendre. Le rapport des Français à l’impôt est symptomatique de ce délitement de la citoyenneté. Dans l’esprit de beaucoup, l’impôt n’est plus qu’un prélèvement obligatoire, toujours trop élevé qui donne le sentiment d’être exploité. Il n’est plus perçu comme un pilier de notre pacte républicain permettant de porter des projets collectivement. La cohésion sociale est fragilisée par une société fragmentée et par une vision défensive des droits du citoyen où les intérêts s’opposent plus qu’ils ne se conjuguent.

Pourtant, tous les jours, des hommes et des femmes mènent des combats formidables, basés sur la solidarité et la proximité. Il faut les encourager. Tout comme le Médiateur, je pense que nous devons retrouver le sens de l’engagement, de la solidarité de proximité, du partage mais aussi du respect de l’Homme car jamais le besoin de dialogue et de partage n’a été aussi fort.

Les solutions seront bien évidemment liées aux décisions politiques. Il est donc nécessaire de restaurer l’image de la politique afin de construire une société basée « sur un socle de convictions et non bâtit sur le sable des émotions ».

II | La conception de l’action publique est-elle en phase avec la réalité du terrain ?

1. Des politiques publiques brouillées par l’empilement législatif

Le premier constat du rapport porte sur l’inflation législative et l’instabilité normative et juridique. D’après le Médiateur, elle est le fruit d’une gestion de l’urgence où une loi vient apporter une réponse de circonstance à des cas particuliers sans que soit prise en compte son applicabilité. La dernière loi de programmation de la sécurité intérieure, dite LOPSSI, en est une parfaite une illustration avec un empilement de mesures sécuritaires où chaque article fait écho à un fait divers.

Or, il est évident que cette profusion réglementaire opacifie notre système et le rend de plus en plus illisible pour nos concitoyens, renforçant ainsi leur sentiment d’être éloignés de leurs dirigeants. De plus, « la confusion qu’elle génère au sein des services publics ouvre la voie à des comportements administratifs inappropriés, à des difficultés d’interprétation des textes, à un durcissement de la loi, à des ajouts de conditions pour l’octroi d’avantages ». Les citoyens se retrouvent alors perdus dans les méandres de l’administration et ont parfois le sentiment d’être floués. Dans le même temps, l’administration rencontre les plus grandes difficultés à appliquer les lois qui se succèdent et parfois se chevauchent.

En somme, la superposition de textes devient un véritable facteur d’instabilité alors même que la loi devrait être un facteur de stabilité. La loi se retrouve ainsi en décalage tant avec les objectifs des politiques publiques qu’avec les moyens de mise en œuvre sur le terrain, la rendant ainsi bien souvent aussi anachronique qu’inapplicable. Le Médiateur précise cependant que « le problème n’est pas l’inflation des lois mais leur application ».

2. Les dommages collatéraux dus aux réformes précipitées

Les réformes de notre pays se font trop vite sans que les dommages collatéraux qu’elles induisent en soient suffisamment mesurés. Le rapport prend notamment l’exemple de la création de Pôle emploi où les agents ont dû, tout en gérant les dossiers de 3,5 millions de chômeurs, absorber et s’approprier en urgence de nouvelles pratiques sans cadre spécifique, sans accompagnement adapté. Le résultat est simple : « ce sont les usagers qui font les frais de cette absence de pédagogie de la décision et de défaillances managériales et /ou technologiques. Et ce sont les agents qui sont injustement stigmatisés ».

Tout comme le Médiateur, je déplore que nous ne prenions pas assez en compte les réalités du terrain et les réclamations des citoyens et des agents de l’Etat, pour corriger les dysfonctionnements du système, alors même que ce sont eux qui sont les plus à même de formuler des observations.

3. L’inaplicabilité des lois, faute de moyens

La loi ouvre parfois la voie à des droits sans donner pour autant les moyens d’y répondre. Le rapport prend l’exemple des Auxiliaires de Vie Scolaire (AVS), dont les postes ont été créés pour faciliter l’insertion des enfants handicapés dans le système scolaire. Il arrive fréquemment que les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) décident d’une prise en charge qui, dans les faits, ne sera jamais appliquée faute de moyens disponibles du ministère de l’Éducation nationale, anomalie dont les enfants sont les premiers à faire les frais.

La loi est aussi parfois inapplicable de manière homogène. Le rapport précise, notamment que les disparités de moyens des collectivités territoriales peuvent créer des conditions d’application de la loi d’une grande hétérogénéité suivant les régions.
De ce fait, les instructions ministérielles ne sont pas appliquées de manière identique sur l’ensemble du territoire, créant ainsi « une rupture de l’équité territoriale et une rupture d’égalité de traitement par le service public », d’après le rapport.

III | Le fossé se creuse-t-il entre pratiques des acteurs et attentes des citoyens ?

Le Médiateur dénonce ici un système dont la complexité des textes et les lourdeurs et entêtements administratifs conduisent « à des situations d’injustice et de déshumanisation ». Le système ne s’adapte plus aux besoins des usagers mais c’est à l’usager de s’adapter à l’administration. Le traitement de masse est privilégié à celui des situations individuelles et les « agents ont tendance à se réfugier derrière le formalisme et la sécurité d’une loi appliquée sans discernement ». Cette situation découle à la fois de la complexité des textes mais aussi de la peur de l’erreur et du lynchage médiatique qui s’en suit souvent.

Ainsi, les agents préfèrent sécuriser leur décision au maximum en privilégiant ainsi un système, même imparfait, au détriment de l’individu. A l’opposé, le consumérisme social pousse les usagers à avoir des revendications purement individuelles, au détriment de l’intérêt collectif : «  C’est donc bien ce manque de dialogue et d’écoute mutuelle qui creuse le clivage ».

Le Médiateur appelle ici à changer diamétralement de culture. « Il faut passer de la culture du dossier traité à la culture du service rendu (…) La pérennité du service public ne passe pas par son statut mais par la qualité du service rendu ».

1. Excès de précipitation et excès de lenteur

Le rapport dénonce un traitement inégalitaire de l’administration envers les usagers. Ainsi, il dépeint un système dans lequel l’administration impose à l’usager une rigueur et un respect implacable des délais, sous peine de sanctions, alors qu’à l’inverse, les usagers sont contraints de s’adapter à la lenteur et l’immobilisme dont fait parfois preuve l’administration, à qui personne n’impose de justifier ses manquements. Cette situation participe à la perte de confiance des citoyens envers les pouvoirs publics.

Ainsi, le Médiateur indique que « l’exemplarité du citoyen impose l’exemplarité de l’administration », avant d’ajouter quelques pages plus loin que « ce n’est pas aux usagers de s’adapter au confort de l’administration mais à l’administration de s’adapter au confort des usagers ».

2. La déshumanisation du Service Public

« La standardisation des procédures, qui incite au traitement de masse, conduit à la déshumanisation ». Le rapport dénonce un système trop rigide et procédurier. Ainsi « l’administration ressemble parfois à une machine à broyer tout ce qui n’entre pas dans les cases prévue ». Soumise à des logiques de rendement, elle a perdu sa capacité à traiter individuellement les usagers. Cet aveuglement procédural conduit certains agents à se déconnecter de la réalité en ne percevant plus un usager comme un individu mais comme un dossier à traiter.

La communication et le travail d’explication sont véritablement le chainon manquant du système administratif actuel. Prendre contact avec une administration et s’y orienter est devenu très compliqué. Dans le même temps, la masse des dossiers à traiter empêche les agents, qui subissent des réductions d’effectifs, de percevoir les cas exceptionnels, et les explications fournies paraissent parfois obscures pour l’usager.
Le rapport est, à ce titre, un véritable réquisitoire à l’encontre de la politique actuellement menée par le Gouvernement, de réduction massive des effectifs et des moyens dans les services publics. L’égalité d’accès à ces derniers est aujourd’hui gravement menacée par la révision générale des politiques publiques qui a eu pour conséquence « une dégradation des conditions de travail pour les agents et une mise en péril de la qualité des services rendus à l’usager ».

3. Un collectif mis à mal et la progression de la violence

Le constat est ici amer : la notion du « vivre ensemble » s’est encore fragilisée, débouchant sur une nouvelle montée de l’agressivité et de la violence dans notre société. C’est ici l’un des nouveaux constats du Médiateur : l’introduction de la violence dans les centres hospitaliers qui se manifeste régulièrement à l’égard des personnels de santé. Le rapport dépeint une situation sous haute tension dans l’hôpital public qui risquerait d’exploser dans les années futures avec : une usure des professionnels de santé, des manques de moyens, un tabou autour de la maltraitance, des logiques de rendement appliquées aux soins, des exigences croissantes des patients pour des effectifs en baisse…

IV | En quoi le Médiateur peut-il aider à resserrer les liens entre citoyens et administration ?

L’isolement est l’un des plus terribles fléaux de notre société et le manque de dialogue et d’empathie devient un facteur d’exclusion, de discrimination et d’inégalités insupportable. Face à la complexité du cadre législatif actuel, il faut permettre aux usagers d’avoir un interlocuteur pour les aider et faire le lien avec l’administration. C’est ici tout le rôle de l’institution du Médiateur de la république. Depuis un an, l’institution développe de nouveaux outils, notamment informatique, pour faciliter cette facilité d’accès. A noter que la plate-forme du Médiateur de la République, www.lemediateuretvous.fr, a remporté le trophée de l’e-démocratie en 2010.

De plus, elle a crée un réseau de correspondants dans les différents organismes sociaux et administrations. A titre d’exemple, à la fin de l’année 2009, le Médiateur de la République a signé une nouvelle convention avec Pôle Emploi, héritière de la convention avec l’Unedic, pour favoriser la correspondance entre délégués et médiateurs régionaux et nationaux de Pôle Emploi.

1. Relations avec les ministères : des évolutions contrastées

Dans son rapport annuel 2009, le Médiateur de la République pointait les difficultés que ses services rencontraient parfois devant l’absence de réponse des ministères ou des services publics interrogés. En 2010, il fallait donc savoir si la situation avait évolué. Dans l’ensemble les ministères ont progressé dans leurs délais et dans la qualité de leurs réponses. Par exemple, les relations avec le périmètre « travail, affaires sociales, santé » ont considérablement progressé.
Cependant, le Médiateur de la République continue à constater l’insuffisance de réactivité de 3 ministères : de l’agriculture, de l’écologie et du budget, où de nombreux dossiers sont restés sans réponses.

Qu’est ce que le Médiateur de la République ?

Créée en 1973, l’Institution du Médiateur de la République est une autorité indépendante qui met ses compétences au service des citoyens, personnes physiques ou morales, pour améliorer leurs relations avec l’administration et les services publics. Elle traite les litiges au cas par cas, vérifie si l’organisme objet d’une plainte s’est ou non conformé à la mission de service public dont il a la charge, relève les dysfonctionnements et rétablit les droits du requérant. Lorsqu’une décision administrative, pourtant conforme à la règle de droit, vient heurter les droits de la personne, le Médiateur de la République dispose d’un pouvoir de recommandation en équité. Il peut également faire usage de son pouvoir d’injonction lorsque l’État ne se conforme pas à une décision prise par la justice en faveur des administrés.

Le Médiateur de la République en chiffre :

– Un réseau de 303 délégués bénévoles dans 428 points d’accueil répartis sur la France entière. Plus de la moitié des délégués (214) accueillent désormais le public dans des structures de proximité.
– Un budget pour l’année 2010 de 11,8 millions d’euros.
– En 2010, le nombre d’affaires transmises a atteint 79046, soit une augmentation de 3,9% par rapport à l’année précédente.
– L’institution a traité 46653 réclamations.
– 94% des médiations ont été réussies.

En savoir + :

Question écrite : Publication du rapport du Médiateur de la République
Rapport annuel 2010 du Médiateur de la République
Site officiel du Médiateur de la République
Délégué du Médiateur de la République en Charente