Situation financière des collectivités locales et suppression de la taxe d’habitation
15/11/18 | Tribune libre de Nicole Bonnefoy
Situation financière des collectivités locales et suppression de la taxe d’habitation
Si le mois de novembre – examen du projet de loi de finances oblige – est traditionnellement l’occasion de présenter aux élus locaux les principales évolutions envisagées, cette année est un peu particulière : En effet, le sujet le plus important – c’est-à-dire la suppression de la taxe d’habitation et les modalités de sa compensation aux collectivités territoriales – ne sera abordé qu’au premier trimestre 2019, dans un projet de loi de finances rectificative. Je voudrais néanmoins vous présenter les termes de ce débat et revenir également sur l’histoire récente, au moins depuis 2010, pour illustrer la continuité qui me semble exister entre les décisions d’alors et celles qui s’annoncent aujourd’hui.
En 2010, la taxe professionnelle (TP) a été remplacée par la contribution économique territoriale et quelques autres impositions avec plusieurs objectifs :
– d’une part, il « fallait » mettre fin à ce que d’anciens Présidents de la République avaient qualifié « d’impôt imbécile et insensé », en supprimant les effets anti-économiques de cette imposition : la TP était notamment accusée de nuire à la compétitivité des entreprises et en particulier au secteur industriel, dans la mesure où plus une entreprise investissait, plus elle était taxée ;
– d’autre part, l’État voulait se « désengager » de la fiscalité locale. Pour éviter les effets économiques précités, l’État avait mis en place de nombreux dispositifs de dégrèvement et d’exonération qui ont conduit à ce qu’en 2010 il prenne à sa charge près de la moitié du produit de la taxe professionnelle.
Ces deux objectifs ont été atteints. Du point de vue des collectivités territoriales en revanche, cette réforme s’est traduite par :
– la transformation de recettes fiscales en dotation ;
– une perte importante de leur pouvoir de taux du fait de la mise en place d’un taux national de CVAE ;
– une concentration de la ressource fiscale sur certains territoires.
Moins de dix ans après, la suppression de la taxe d’habitation poursuit cette logique. Il s’agit cette fois de supprimer un » impôt injuste », pour lequel l’État a déjà prévu de nombreux dégrèvements et exonérations. Tout d’abord, la finalité de cette mesure, improvisée au cours de la campagne électorale, se discute. Certes, on peut partager le souci d’améliorer le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Mais il aurait été plus judicieux que l’État agisse sur ses propres ressources, plutôt qu’en utilisant la fiscalité locale.
Il ne s’agit pas de nier les difficultés posées par la taxe d’habitation. Nous les connaissons tous. Mais je regrette que le Gouvernement, au lieu de supprimer cette imposition qui fonctionne de façon insatisfaisante, n’ait pas choisi de la « réformer ». Je pense naturellement à la nécessaire révision des valeurs locatives. La plupart des critiques adressées à la taxe d’habitation trouvent en fait leur cause dans l’obsolescence des bases fiscales, qui conduisent à des écarts d’imposition totalement incompréhensibles et injustifiables, au sein d’une même commune. Le Président de la République avait pratiquement exclu toute révision des valeurs locatives des locaux d’habitation lors de la première conférence des territoires. Le Gouvernement semble considérer à nouveau cette option, mais en précisant qu’elle ne s’appliquerait de toute façon qu’après 2022.
Je pense que cette réforme, aussi difficile soit-elle, est indispensable. Elle le demeure également dans l’hypothèse de la suppression de la taxe d’habitation, puisque les valeurs locatives continueront à être utilisées pour la taxe foncière et pour plusieurs autres impositions locales, sans parler des effets indirects sur la répartition des dotations et de la péréquation.
Concernant la suppression de la taxe d’habitation et en particulier aux modalités de sa compensation, le Gouvernement a exclu, à plusieurs reprises, toute création d’une nouvelle imposition locale. À ce stade, l’hypothèse la plus probable consiste en un transfert de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) au bloc communal, les départements étant pour leur part compensés par l’attribution d’une part de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou de la contribution sociale généralisée (CSG). Si ce schéma général s’impose, il faudra également déterminer la répartition du produit entre communes et EPCI et traiter le cas des communes et des EPCI qui seraient sous-compensés ou sur-compensés. En d’autres termes, il faudra mettre en place un fonds horizontal de compensation, sur le modèle du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR).
Tout ceci n’est pas encore arbitré et nous assistons à un « jeu de bonneteau », entre blocs de collectivités territoriales, pour savoir qui obtiendra telle ou telle imposition. L’hypothèse de la mise en place d’un dégrèvement intégral de la taxe d’habitation, qui prendrait également en compte les hausses de taux des collectivités territoriales, est parfois évoquée. Le comité des finances locales, notamment, a défendu cette option, après avoir privilégié pendant plusieurs mois l’hypothèse d’une « descente » de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Cette solution préserverait naturellement le pouvoir de taux du bloc communal. Elle est séduisante à bien des égards, mais je dois dire qu’il me semble qu’elle a peu de chances d’aboutir : En effet, cela reviendrait à créer, pour les collectivités, une sorte de « droit de tirage » sur l’État, sans aucune limite ou presque !
Les conséquences des modalités de compensation envisagées ne sont pas anodines. La taxe d’habitation représente aujourd’hui un tiers des recettes fiscales du bloc communal et constitue donc l’un des principaux leviers dont disposent les élus locaux pour agir sur le territoire. Même avec une compensation de la perte de ressource, la suppression de la taxe d’habitation impliquera une perte de pouvoir de taux, pour une partie des collectivités territoriales au moins. En définitive, en remplaçant la taxe d’habitation par une part de TVA par exemple, il s’agira bien de remplacer une imposition locale, avec un pouvoir de taux, par de l’impôt national, réparti comme une dotation. Tout ceci se fera au détriment de l’autonomie fiscale des départements. De plus, les fonds horizontaux de compensation seront de véritables « usines à gaz », qui rendront nos finances locales encore plus complexes et encore plus rigides.
Ce que nous voyons se dessiner en fait, c’est une fiscalité locale… « moins locale » ! Ce mouvement a commencé en 2010, avec la mise en place d’un taux national de CVAE. Il convient de rappeler que dans le projet initial du Gouvernement d’alors, le produit de cette imposition devait être réparti comme une dotation, à partir des caractéristiques de la collectivité et non de ses bases fiscales. La « barrière psychologique » au partage d’impositions nationales a été levée en 2017, lorsque l’on a décidé d’attribuer une fraction de TVA aux régions. Les discussions actuelles vont dans le même sens. Si l’hypothèse d’une compensation de la suppression de la taxe d’habitation par une imposition d’État est mise en œuvre, la fiscalité nationale partagée représentera 30 milliards d’euros en 2022, soit près d’un quart des ressources fiscales des collectivités territoriales.
Cette évolution m’inspire deux réflexions. Je ne suis pas totalement opposé au partage d’impositions nationales entre l’État et les collectivités territoriales. Mais je pense qu’il faut les réserver aux cas où il s’agit de compenser des charges transférées ou des dépenses induites par l’adoption de normes nationales. Il s’agit en quelque sorte de financer des dépenses pour lesquelles les collectivités n’ont aucune latitude. En revanche, je considère que là où les collectivités ont le pouvoir de décider du niveau de dépenses, en particulier là où s’expriment des choix politique sur les types et le niveau de service public, les élus locaux doivent disposer d’un pouvoir de taux. L’un ne va pas sans l’autre ! Le pouvoir fiscal est le corollaire de la libre administration des collectivités territoriales.
En définitive, les évolutions de la fiscalité locales illustrent un mouvement de recentralisation, qui ne se limite pas aux aspects fiscaux. Son illustration la plus parfaite réside sans doute dans l’encadrement des dépenses des collectivités territoriales, qui a été mis en place l’an dernier dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques. Le terme de « contrat » ne doit pas nous abuser. Il ne s’agit pas d’un accord trouvé entre deux entités égales, qui définissent leurs obligations respectives. Il s’agit bien d’une règle posée par l’État et aménagée à la marge après négociation avec les préfets. De même, les dotations d’investissement ont fortement évolué ces dernières années. Je pense notamment à la mise en place de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) ou au renforcement de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR). Dans ces deux cas, on observe que l’État privilégie les dotations « sur projet », pour lesquelles les décisions sont prises par les préfets, plutôt que des dotations libres d’emploi. Là encore, il s’agit d’une recentralisation de la décision.
Pour conclure, je dirais donc que les décisions qui vont être prises dans les mois qui viennent sont fondamentales. L’évolution du panier des ressources fiscales des collectivités aura un effet direct sur leur capacité à définir, de façon autonome, les politiques qu’elles veulent mener. Et le mouvement actuel de recentralisation est, à cet égard, inquiétant.