Proposition de loi pour une sécurité globale préservant les libertés

12 mai 2021 | Actualités / Sénat

Le Groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain a voté contre la proposition de loi pour une sécurité globale préservant les libertés car ce texte comprend de nombreuses dispositions manifestement contraires à plusieurs principes constitutionnels et à nos valeurs.

En premier lieu, ce texte porte les stigmates des maux qui affectent le fonctionnement de notre démocratie parlementaire depuis plusieurs années et qui se sont accentués ces derniers temps. Leurs caractéristiques peuvent se résumer en trois mots : impréparation, précipitation et confusion. A vouloir agir trop vite et  à saturer l’ordre du jour du Parlement de projets et propositions de loi denses examinés à marche forcée et portant sur des sujets particulièrement important, le Gouvernement finit par cantonner le Parlement dans une simple fonction d’approbation et érode la vitalité de la démocratie. C’est notamment le cas de cette proposition de loi.
La verticalité de plus en plus affirmée de l’exécutif lié au raccourcissement des circuits de décision conduisent à ne donner de l’Etat qu’une vision technocratique, qui participe à la fabrique du populisme. Elle va également à contre-courant d’une pratique qui recherche une articulation réelle et efficace avec la démocratie participative. A cet égard, la réforme des institutions est un sujet majeur qui ne pourra être négligé lors de la prochaine campagne présidentielle.

Nous déplorons le retour d’anciennes pratiques consistant à faire de la sécurité publique un sujet clivant et de division entre les Français à l’approche d’échéances électorales importantes.

Signe de la première anomalie dénoncée à l’instant, l’improvisation qui a présidé à la présentation de ce texte est regrettable. Cette proposition de loi arrive manifestement à contretemps. Son examen est enchâssé entre le livre blanc de la sécurité intérieure publié en novembre 2020, le Beauvau de la sécurité, mis en œuvre à la demande du président de la République en décembre dernier et la future loi de programmation sur la sécurité dont le dépôt au Parlement est envisagé en fin d’année.
Le travail préparatoire qui a conduit à l’élaboration d’une première proposition de loi visant à anticiper la mobilisation des forces de sécurité, nationales, municipales et privées dans la perspective de l’organisation de la Coupe du monde de rugby de 2023 et des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ne doit pas être sous-estimé.
Pour autant, nous dénonçons l’empressement à vouloir débattre de sujets qui aurait mérité une expertise plus approfondie et un large débat public préalable. Au contraire le Gouvernement a fait le choix de détourner une initiative parlementaire pour y introduire un nouveau cadre légal régissant l’usage des drones et celui des caméras embarquées, accompagnés d’un volet étendant le régime de captation des images par les forces de sécurité. Cette démarche illustre la fébrilité qui s’est emparée du Gouvernement suite aux récentes décisions du juge administratif et des observations de la CNIL.
En outre, l’adjonction de mesures visant à renforcer la protection des policiers qui ne sont pas illégitimes par elles-mêmes, est apparue comme une tentative de répondre dans la précipitation, à certaines demandes catégorielles, sans autre forme de concertation.. Ce choix  a tendu ce débat, qui a atteint son paroxysme avec l’article 24 de la proposition de loi et alimenté la défiance de la population à l’égard des forces de l’ordre.

Lors de l’examen de ce texte au Sénat, nous avons alerté sur les lacunes caractérisées et les fortes ambiguïtés de nombreuses dispositions contenues dans la proposition de loi adoptée définitivement.
La proposition de loi initiale était censée se focaliser sur la mise en adéquation des polices municipales et du secteur professionnel de la sécurité privée à partir du concept de continuum de sécurité développée par ses auteurs.  Nous doutions dès le départ d’un concept qui relève davantage de la défense nationale et de la stratégie de gestion des crises internationales, appliqué à la sécurité intérieure.
Mais la vraie difficulté vient d’un texte final qui est touffu, chargées de mesures disparates, et qui porte diverses dispositions relatives à la sécurité.
Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi comprenait 32 articles. À son adoption par les députés, elle comptait 65 articles, et 86 articles au terme de son examen par le Sénat. Il n’est pas utile d’égrener les 77 articles restant au final de la proposition de loi pour illustrer ce propos. Cet assemblage de dispositions hétéroclites affectent la lisibilité et la sécurité juridique des principales dispositions de ce texte.

  • Concernant le titre 1er relatif aux polices municipales

Nous nous opposons au champ trop étendu de l’expérimentation qui pourrait conduire à dénaturer les caractéristiques propres à la police municipale, police de proximité et du quotidien. L’envoi direct des PV au procureur de la République par les chefs de service et les directeurs de police municipale sans passer par le filtre de l’OPJ ainsi que la compétence des agents de police municipale et des gardes champêtre en matière de répression de l’ivresse publique vont produire des effets indésirables.
Par ailleurs et même si la rédaction retenue affirme le contraire, les nouvelles compétences confiées aux agents de police municipale à titre expérimental vont conduire ces derniers à procéder à des actes d’enquêtes en contradiction avec les limites constitutionnelles qui encadrent leurs prérogatives.
En outre, nous regrettons que le texte final de la proposition de loi n’ait pas conservé les précisions introduites par le Sénat sur les modalités de la prise en charge financière de la formation ainsi que les modalités de contrôle des policiers municipaux dans le cadre de l’expérimentation.
D’autres mesures n’apporteront rien au droit en vigueur ou participent des effets d’annonce comme celle qui vise à rendre systématique l’information du maire sur les suites judiciaires données aux infractions commises sur le territoire de la commune ou celle renforçant la répression des intrusions illégales dans les exploitations agricoles.
Nous restons persuadés que la suppression du seuil de 300 spectateurs à partir duquel les agents de police municipale peuvent être affectés pour assurer la sécurité de ces manifestations  méconnaît le respect des principes de finalité et de proportionnalité.
Enfin, contrairement à la volonté du Sénat, les députés ont rétabli l’engagement à servir pour une durée de 3 ans. Nous aurions souhaité que la dispense de remboursement ne soit pas laissée à la seule discrétion du maire ou du président de l’EPCI.

  • A propos des dispositions relatives au secteur de la sécurité privée

Nous regrettons que le texte définitif se soit rangé à la rédaction du Sénat. Ce choix revient à assouplir les règles encadrant la sous-traitance en écartant le seuil de 50% introduit par l’Assemblée nationale ainsi que celles relatives à la responsabilisation des donneurs d’ordre. Pourtant, nous sommes tous au fait des conséquences néfastes de ce procédé qui engendre des prestations à la baisse et précarise le personnel de ce secteur.
Nous déplorons également l’exclusion des nouvelles mesures de moralisation de la profession créées par la proposition de loi pour les contrats en cours alors qu’elles avaient été présentées comme urgentes et nécessaires.
L’Assemblée nationale a rétabli dans le texte définitif les sanctions financières à l’encontre des salariés que le Sénat avait supprimées. Cette mesure nous paraît excessive.
Nous nous interrogeons sur la pertinence du régime dérogatoire autorisant le cumul emploi-retraite pour les policiers nationaux exerçant dans le domaine de la sécurité privée. Légiférer sur la retraite d’une catégorie particulière d’agents de l’État alors que la réforme globale des retraites a été suspendue n’est pas de bonne méthode.
Outre les habilitations données au Gouvernement visant l’organisation du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) et la formation pour l’accès à la profession que nous rejetons compte tenu de la sensibilité du sujet, plusieurs dispositions posent des difficultés de nature constitutionnelle, qu’il s’agisse :

  • du rétablissement à 5 ans de la durée nécessaire de détention d’un titre de séjour pour qu’un ressortissant étranger puisse exercer dans le secteur ;
  • des missions de surveillance sur la voie publique contre les actes terroristes confiées aux agents de sécurité privée ainsi que l’autorisation accordée aux agents de sécurité privée de détecter des drones aux abords des biens dont ils ont la garde ;
  • de la suppression de l’habilitation spécifique de l’agrément pour réaliser des palpations de sécurité.
  • Les dispositions relatives à la vidéoprotection et à la captation d’images montrent les limites de l’exercice

Nous prenons acte des garanties introduites par le Sénat et conservées en grande partie dans le texte définitivement adopté. Il n’en demeure pas moins qu’elles restent insuffisantes à nos yeux et ne peuvent compenser la faille originelle qui les caractérisent. Elles n’auraient jamais dû relever d’une simple proposition de loi au regard des enjeux de libertés publiques qui sont en cause.
L’encadrement de la vidéoprotection des cellules de garde à vue et des chambres d’isolement des centres de rétention administrative introduit à la dernière minute par le Gouvernement au Sénat le démontre à nouveau car cette disposition aurait mérité un avis préalable de la CNIL.
Le débat ne se limite pas entre les promoteurs et les contempteurs de la vidéosurveillance mais porte sur l’extension, pertinente et proportionnée des personnes autorisées à visionner les images captées. Il est heureux que la demande du Gouvernement pour réformer par ordonnance l’ensemble du régime juridique de la vidéoprotection n’ait pas survécu dans la version finale de la proposition de loi.
Quoi qu’il en soit, le compte n’y est pas et nous restons fermement opposés à la quasi-totalité des mesures inscrites dans le titre III de la proposition de loi car elles sont inappropriées et manifestement contraires à la Constitution, en particulier au grand principe de protection de la vie privée.
Nous récusons l’évolution de la doctrine d’emploi des caméras-piétons qui vont devenir des accessoires du maintien de l’ordre public alors qu’elles avaient pour objet initial de sécuriser les agents, d’apaiser les relations entre la police et la population et de lutter contre les contrôles d’identité abusifs.
Nous ne comprenons pas le rétablissement dans le texte définitif des mesures élargissant les possibilités de déport d’image de vidéosurveillance des halls d’immeuble, supprimé par le Sénat car attentatoires au respect de la vie privée.
La possibilité de visionnage des images de vidéoprotection par les services internes de sécurité de la RATP et de la SNCF est problématique. Elle ouvre une faculté de délégation à des personnes privées d’une mission de surveillance de la voie publique, ce qui est contraire à la Constitution.
Les dispositifs relatifs à la création ex nihilo et l’encadrement des régimes légaux intéressant l’usage des drones et des caméras embarquées dont le recours en matière de sécurité publique bouleverse les conceptions classiques de surveillance des personnes restent inaboutis et continuent de soulever des interrogations en matière de libertés publiques, qu’il s’agisse de leur extension à la police municipale, de l’information du recours à cette nouvelle technologie, de son application lors des manifestations, et plus généralement du respect des libertés individuelles.
Nous le répétons une nouvelle fois : il n’est pas acceptable d’introduire par voie d’amendement le recours à la technologie des drones qui permet une surveillance très étendue et fortement intrusive, d’autant qu’il n’a pas permis d’assurer le grand débat public que la CNIL appelle de ses vœux sur ce sujet.

  • Les dispositions relatives aux forces de sécurité intérieure nous interpellent à plus d’un titre.

Le texte final de la proposition de loi procède à une réécriture technique de l’article 24 qui a mobilisé toute l’attention en première lecture à l’Assemblée nationale en reprenant l’esprit des modifications du Sénat. Nous verrons bien si le Premier ministre  tiendra sa promesse de saisir le Conseil constitutionnel sur cette disposition. A nos yeux, cette nouvelle rédaction laisse entière la menace contre la liberté de la presse et renforce les sanctions contre les diffusions d’image. Son articulation avec l’article 18 du projet de loi renforçant le respect des principes de la République entretient le doute sur son application effective. Nous rencontrons la même difficulté avec l’article 23 qui supprime les crédits de réduction de peine et la fin des remises de peine automatiques annoncée par le garde des sceaux. Un tel chevauchement reste problématique. Nous aurions souhaité vivement que le régime d’anonymat des témoignages aux personnes témoins d’infractions envers les sapeurs-pompiers, introduit par le Sénat soit confirmé dans la version adoptée définitivement, ce qui n’a pas été les cas au final. Enfin, nous restons fermement opposés à l’autorisation de port d’armes pour les policiers et gendarmes hors service dans les établissements recevant du public qui nous paraît disproportionnée car réservée aux cas d’urgence de lutte contre le terrorisme Une telle disposition inquiète les citoyens et en premier lieu les professionnels du monde du spectacle et de la culture. Il s’agit d’une nouvelle mesure catégorielle qui caractérise l’essentiel des dispositions du titre IV de la proposition de loi.

  • Sur les dispositions du titre V relatif à la sécurité dans les transports

Les assouplissements apportés à l’article 28 ter (transmission aux forces de sécurité intérieure des images issues de la vidéoprotection dans les réseaux de transport publics de voyageurs) affaiblissent de manière excessive les garanties opérationnelles visant à préserver le droit à la vie privée des usagers des services de transports et font courir un risque d’inconstitutionnalité à l’ensemble de ce régime.
Nous nous sommes opposés également aux articles 29 bis (extension des prérogatives de constat d’infraction des gardes particuliers assermentés) et 29 ter (généralisation et harmonisation du pouvoir de verbalisation des circulations et stationnements interdits sur les espaces naturels aux gardes particuliers des collectivités territoriales et des propriétés privées) au motif qu’ils ne respectent pas le principe de proportionnalité.

  • Des dispositions additionnelles hors périmètre de la proposition de loi

Pour finir, il semble que les articles 15 (autorisant un cumul, sans limitation, entre un revenu d’activité perçu à l’occasion de l’exercice d’une activité privée de sécurité et une pension perçue par un retraité des catégories actives de la police nationale), 22 ter (facilitation de la conduite des opérations de police en mer par l’utilisation de caméras aéroportées, embarquées et individuelles), 27 bis (permettre aux agents du ministère de l’intérieur de bénéficier de la protection fonctionnelle, y compris lors de leurs auditions libres) et 28 bis (expérimentation autorisant certaines entreprises de transport à faire usage de caméras embarquées pour prévenir les accidents) n’ont qu’un lien ténu avec l’objet de la proposition de loi et relèveraient de la catégorie des cavaliers législatifs.

En conclusion, cette proposition de loi adoptée définitivement manque son objectif principal

La proposition de loi pour une sécurité globale préservant les libertés – laissant étonnamment penser à contrario qu’il pourrait exister une politique publique de sécurité contraire aux libertés –  dans ce qu’elle contient et surtout dans ce qu’elle ne contient pas (la réforme de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) pour la transformer en une institution de contrôle indépendante, la remise à plat du schéma national du maintien de l’ordre, l’interdiction de l’usage des LBD, les moyens de lutter contre les contrôles d’identité abusifs et discriminatoires), ne favorisera en rien le rétablissement de la confiance des citoyens dans les forces de sécurité. Bien au contraire, elle contient de nombreuses dérives. C’est pourquoi le Groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain saisit le Conseil constitutionnel.