Bayers : Le château d’une vie
[ Article Charente Libre du 05/09/12 ]
Le château d’une vie
Médecin à Aunac, le Dr Degorce a passé trente ans à restaurer le château de Bayers. À 91 ans, il ne regrette pas d’avoir consacré son temps et son argent à l’édifice qui tombait en ruine.
Le même sourire espiègle sous le chapeau de paille. La même vivacité d’esprit. La même envie de partager le parfum de la bibliothèque, son cocon. À 91 ans, le Docteur André Degorce a conservé la jeunesse du regard, celle qu’il avait lorsqu’il parcourait pour la première fois la terrasse du château de Bayers qui surplombe la Charente. C’était en 1976. Le médecin généraliste d’Aunac venait d’acquérir, avec son épouse Solange, cette ancienne forteresse tombée en ruine. «Une ruine inclassable», comme l’affirmait alors la direction régionale des Affaires culturelles (Drac) avant de revenir sur sa décision deux ans plus tard.
Un hasard que cette acquisition. «Le 4 avril au soir, mon notaire vient me trouver. « Le château est à vendre depuis une heure. Vous l’achetez tout de suite. Demain, il y aura dix acquéreurs », me dit-il. À dix heures du soir, je l’avais acheté en me demandant bien ce que j’allais faire de ce tas de pierres», se souvient le châtelain qui s’est aussitôt attelé à la tâche. En famille. «Il y avait trois murs et demi. C’était la Belle au bois dormant. On a commencé par enlever quatre mètres de lierre, les pierres suivaient. Heureusement que j’avais le casque de tranchée de mon père pour me protéger. Pendant ce temps, ma femme et ma fille déblayaient les douves.»
Trente ans de travaux
Ce n’était qu’un début. Suivirent trente ans de restauration avec le concours de l’architecte Pierre Bonnard, spécialiste du XVe siècle. Trente ans de travaux «au fur et à mesure des rentrées d’argent». «L’État ne fera pas fortune avec moi pour ma succession. Tout y est passé, plaisante l’ancien médecin, le septième en France en 1953 à posséder un téléphone dans sa voiture. Il occupait tout le coffre de la 203.»
Le passé bouscule le présent à l’approche de la tour ménagée par les années. «On n’a remplacé que les portes et fenêtres.» Pendant les onze premières années, le Dr Degorce passe du chevet de ses patients à celui de son château. «On était déjà trois au cabinet, j’avais deux week-ends sur trois.» Une aubaine pour celui qui a pratiqué «plus de 5 000 accouchements». Souvent entre 2 heures et 4 heures. Des habitudes qui lui valent des insomnies régulières à ces heures-là. «Je pense.» André Degorce ne manque pas de sujets de réflexion. «C’est idiot, mais j’aimais tout: la montagne, la mer, la musique, la photo, la peinture et surtout mon métier.» L’amour du patrimoine s’est greffé sur un arbre bien garni. À l’image de cet if de 500 ans qui le protège de la canicule, près du puits du XIe siècle.
Une vie n’y suffit pas pour accomplir ses passions. «C’est bien de vieillir, mais faut pas vieillir de tout. On n’a plus la sûreté des doigts», regrette le châtelain en songeant aux opérations passées, à cette «petite chirurgie» qu’il répétait quotidiennement. «Aujourd’hui, il ne faut plus faire de radio, pas donner d’antibios. À quoi on sert? À rien.»
Une pointe de nostalgie affleure, vite balayée par l’élan de la visite. Extérieure: «La terrasse, c’est merveilleux, on entend les chiens aboyer, les gens se baigner.» Intérieure: «C’est l’ancienne salle à manger, le salon où l’on recevait le roi de France. On a récupéré ces tomettes de 17 centimètres dans les carrières.» Plus loin. «Regardez l’escalier à vis, il est tel qu’il était. L’autre, on a dû le refaire. Les marches ont été vendues pour faire des bordures de trottoir. Bande de sauvages!» L’indignation n’a pas d’âge. L’intonation de la voix varie au gré de la marche, soutenue par la canne.
Pause devant l’album souvenir du château. «Ç’aurait été dommage de le laisser démolir», soupire le vieil homme en tournant les pages de photos. Les tours sont décapitées, les murs disparaissent sous la végétation. Trente ans plus tard, la Belle au bois dormant accueille des visiteurs tout l’été. Le monument fait toujours «rêver» son propriétaire, rassuré sur l’avenir. «On n’aurait pas entrepris tout ça si mes enfants ne m’avaient pas dit: « On garde ». Mon petit-fils parisien s’est marié ici il y a deux ans. Ma fille vient tous les mois. Mes patients aussi viennent me voir. Je ne suis pas seul.» Le château de Bayers reste synonyme de partage. […] Article Charente Libre
16 août 1921. Naissance d’André Degorce à Mouton.
De 1948 à 1987. Médecin généraliste à Aunac.
1976. Achète le château de Bayers.
1978. Classement du château.
1996. Achat de l’ancienne orangerie du château.
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