Commission d’enquête Lubrizol : Des conséquences sanitaires et environnementales d’une catastrophe industrielle révélant une culture du risque inexistante

11 juin 2020 | Actualités / Sénat
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Tribune libre de Nicole Bonnefoy

Commission d’enquête Lubrizol : Des conséquences sanitaires et environnementales d’une catastrophe industrielle révélant une culture du risque inexistante

L’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen ayant entrainé la combustion de plus d’une tonne d’hydrocarbures, le 26 septembre 2019, a poussé le Sénat à réagir rapidement avec la création d’une commission d’enquête. Dès le 10 octobre 2019, à l’unanimité des groupes politiques, les sénateurs ont constitué cette commission dont j’ai été nommée co-rapporteure.

Après 9 mois d’enquête, 80 auditions, un déplacement sur le site de Rouen (le 24 octobre 2019), le 2 juin 2019, la commission d’enquête a voté à l’unanimité son rapport intitulé : Risques industriels : prévenir et prévoir pour ne plus subir. Nous avons évalué l’intervention des services de l’État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de cet accident industriel. Au-delà de cette catastrophe, nous nous sommes penchés sur la prévention des risques pour les 1 200 sites inscrits comme Installations classés pour la protection de l’environnement (ICPE).

Notre rapport pointe du doigt des manquements graves nuisant à l’efficacité des mécanismes de prévention des risques industriels. Concernant l’accident de Lubrizol, nous constatons les réactions tardives et incomplètes de l’État. Nous soulevons également une culture du risque inexistante en France et un non-respect du principe de précaution sur les conséquences sanitaires, environnementales et économiques.

Une remise en cause de la gestion et de la communication de crise de l’État

Notre rapport remet en cause l’application du principe de précaution dans la gestion de cet accident industriel. En effet, durant les heures et les jours qui ont suivi l’incendie, les Rouannais ont assisté à un défilé de ministres. Ces derniers ont suscité la confusion en réagissant parfois de manière contradictoire. Cela révèle une méconnaissance des produits stockés dans l’usine Lubrizol, pourtant classifiée ICPE. Et d’autre part cela interroge sur la communication de crise du Gouvernement. Tenter de rassurer la population ne peut constituer une gestion de crise efficace. En revanche, collecter les données afin de comprendre les causes d’un tel évènement afin de pouvoir communiquer clairement, aurait été davantage pertinent. Au lieu de cela, ce manque d’information a laissé la place à la confusion et à la diffusion d’infox sur les réseaux sociaux et a amplifié l’anxiété de la population.

Notre rapport montre également un défaut dans la chaine d’information, notamment concernant les élus locaux et les professionnels médicaux. Lesquels, malgré leur qualité d’acteurs de terrains, n’ont pu prendre toute leur part dans la gestion de la crise.

Afin d’éviter le défaut d’information en cas d’accident industrie, nous recommandons :

  • Un suivi quotidien des produits stockés ainsi qu’une gestion « juste à temps » des stocks de substances dangereuses. Ainsi, en cas d’accident, les informations claires et précises seront à disposition des services de l’État pour mieux informer la population.
  • Concernant le problème de circulation de l’information en temps de crise, nous souhaitons la mise en place d’une chaine de l’information des services de l’État incluant les élus locaux ainsi que les professionnels de santé de terrain (Médecins de ville, les pharmaciens et les infirmiers).

Respecter le principe de précaution en suivant les conséquences sanitaires de l’incendie

Dans le cadre de la catastrophe Lubrizol, le principe de précaution n’a pas été respecté. Bien qu’il n’y ait pas eu de décès annoncé, nous ne connaissons pas les conséquences sanitaires de cet incendie à long terme. Ainsi, nous recommandons un réel suivi de la population et de la biodiversité. Ce dernier nécessite d’avoir collecté assez de données sur l’accident. Nous avons également constaté que l’Agence régionale de santé (ARS) n’avait pu engager un travail de suivi sanitaire dans les meilleures conditions, car elle ne disposait pas des informations sur la tonne d’hydrocarbures disséminée dans l’atmosphère. Nous avons en effet peu de recul médical sur les effets cocktails de ces produits sur la santé et sur l’environnement.

Afin d’organiser un réel suivi des effets de la catastrophe sur la population, ainsi qu’une indemnisation des potentielles victimes qui se déclareraient dans les prochaines années nous recommandons dans notre rapport :

  • La mise en place de registres des morbidités pour les cancers et les malformations congénitales.
  • Aux assureurs, la suppression de la franchise et une extension de l’action de groupe en cas d’accident industriel.

Absence de culture du risque et renforcement des contrôles des Installations classées

Dans notre rapport, nous mettons également l’accent sur la question des risques industriels et du nécessaire développement de la culture du risque dans la population française. Malgré de nombreux outils existants, le public reste le grand absent des politiques de prévention des risques. Celles-ci sont davantage tournées vers les services de l’État. À titre d’exemple, seuls 10 % des Français déclarent savoir comment réagir cas d’accident industriel. Du côté des collectivités territoriales, 62 % des élus font part d’un manque d’information sur les risques industriels. Nous soulevons également un système d’alerte de la population par alarme dépassé.

Par ailleurs, si les effectifs de police des Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) ont augmenté, nous constatons, une baisse de 50 % des contrôles sur les 15 dernières années, ainsi qu’une baisse du budget dédié à ce poste de dépense.

Afin de prévenir les conséquences sur la population nous proposons :

  • Création d’une véritable culture du risque à destination de la population (en priorité des riverains des sites classés) et des élus locaux.
  • Proposition d’alerte de la population sur leurs téléphones mobiles.
  • Afin de mieux prévenir les risques d’accidents industriels, nous recommandons :
  • Le renforcement des contrôles des sites classés.
  • Renforcement de l’application des sanctions des personnes morales gérant les sites classés.
  • S’appuyer sur les structures existantes, en renforcer les moyens humains et financiers afin de constituer un véritable bureau d’enquête accidents.

Derrière l’incendie de Lubrizol se cache un sujet plus vaste : la situation de 1 200 sites classés pour la protection de l’environnement. Nos investigations nous ont permis de relever l’absence de culture des risques en France. Ainsi, qu’ils soient sanitaires, environnementaux ou climatiques, nous devons mieux organiser la prévention afin d’éviter d’en subir les conséquences. La gestion de la crise sanitaire due à l’épidémie de Covid-19 en est un exemple criant.

A l’avant-garde sur ces sujets, le Sénat a voté à l’unanimité le 15 janvier 2020 la proposition de loi que j’ai portée pour le groupe socialiste visant à réformer le régime des catastrophes naturelles. Ce rapport est donc l’occasion d’interroger de manière exhaustive les politiques gestion et de prévention des différents risques en France.

Nos recommandations sur 6 axes :

  1. Créer une véritable culture du risque industriel
  2. Améliorer la politique de prévention des risques industriels
  3. Améliorer la gestion de crise
  4. Assurer une meilleure coordination entre l’État et les collectivités territoriales
  5. Indemniser l’intégralité des préjudices subis par la population
  6. Appliquer le principe de précaution au suivi sanitaire des populations touchées par un accident industriel
Lubrizol : Les principales recommandations de la Commission d'enquête. Infographie : Sénat