Pour une transition numérique écologique

2 juillet 2020 | Actualités / Sénat
Image : echos.verts.com

Tribune libre de Nicole Bonnefoy

La commission d’aménagement du territoire et du développement durable a créé la mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique le 14 décembre 2019.
Pour ses travaux, cette mission d’information a auditionné et reçu des contributions de chercheurs, d’acteurs institutionnels, d’opérateurs, d’associations, d’entreprises, d’écoles de formation d’ingénieur, ou encore de concepteurs de jeux vidéo.
Cela leur a permis d’établir un état des lieux solide permettant de définir une politique publique efficace. Ces travaux feront, par ailleurs, l’objet d’une proposition de loi.

Le numérique, angle mort des politiques environnementales et climatiques

Formidable outil de résilience de la société et de l’économie durant la crise sanitaire, le numérique sera demain au cœur de la relance économique, avec la perspective d’accélérer la transition numérique et, à plus long terme, d’exploiter les perspectives ouvertes par le développement de l’intelligence artificielle.

Les chiffres du secteur reflètent sa croissance continue : équipement voire suréquipement des Français (93 % d’entre eux possédaient un téléphone mobile en 2017), hausse continue des usages (la consommation de données mobiles 4G augmente de près de 30 % par an, poussée notamment par le streaming vidéo) et augmentation considérable des investissements dans le secteur.

Secteur économique majeur, le numérique est pourtant largement ignoré en tant que tel des politiques publiques visant à atteindre les objectifs climatiques fixés par l’Accord de Paris : il n’existe pas de stratégie transversale publique visant à en atténuer les impacts environnementaux.

Or, il est indispensable que les gains environnementaux indirectement permis par le numérique ne soient pas annulés par ces impacts directs et quantifiables en termes d’émissions de gaz à effet de serre, d’utilisation des ressources abiotiques (métaux et terres rares), de consommation d’énergie et d’utilisation d’eau douce. La croissance du numérique se traduit en effet par l’utilisation d’une quantité croissante de métaux, encore aujourd’hui très peu recyclés.

Les chiffres de l’impact environnemental du numérique, pour 2018 :
Il représente 3,7 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) dans le monde ;
Et 4,2 % de la consommation mondiale d’énergie primaire.
44 % de cette empreinte sont dues à la fabrication des terminaux (smartphone, ordinateurs etc.), des centres informatiques et des réseaux ;
Et 56 % à leur utilisation.

Une évaluation inédite : L’empreinte carbone du numérique en France

Si ces constats sont bien étayés par des chiffres à l’échelle mondiale, les travaux existants à l’échelle nationale sont aujourd’hui parcellaires.
C’est pourquoi, les sénateurs, membres de la mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique, ont souhaité pouvoir disposer d’une étude comportant des éléments chiffrés sur l’empreinte carbone du numérique en France, et son évolution à l’horizon 2040. Les conclusions qui s’en dégagent doivent permettre de définir les leviers d’action en France pour concilier transition numérique et transition écologique.

Cette étude a permis de constater que 2 % des émissions de gaz à effet de serre mondiaux sont dus à la consommation numérique française. Si aucune politique publique de sobriété du numérique n’est déployée, cet impact risque d’augmenter de près de 60 % à l’horizon 2040. Cette hausse serait causée par le nombre d’équipements numériques croissants et aux coûts environnementaux engendrés par leur fabrication et leur utilisation (représentant 81 % des émissions de carbone).

La réduction de l’empreinte carbone du numérique en France devra passer par une limitation du renouvellement des terminaux numériques (smartphone, ordinateurs, box internet, consoles de jeux etc.) passant par la mise en place d’une économie circulaire de reconditionnement des équipements. Cette mesure pourrait s’appuyer sur un écosystème industriel français vecteur d’emploi non-délocalisables.

Les quatre axes de propositions de la Mission

1er axe : Faire prendre conscience aux utilisateurs du numérique de son impact environnemental
– Campagnes de sensibilisation et d’information sur la pollution générée par le numérique,
– Intégrer la sobriété numérique dans l’éducation environnementale à l’École,
– Création d’un observatoire de recherches sur les impacts environnementaux du numérique,
– Inscrire l’impact environnemental du numérique aux bilans RSE des entreprises et accompagner les TPE/PME, avec des crédits d’impôt pour les mesures d’impact environnemental des services du numérique.

2ème axe : limiter le renouvellement des terminaux numériques
Taxer les externalités négatives liées à la fabrication des terminaux par l’introduction d’une taxe carbone aux frontières européennes,
– Renforcer les sanctions existantes pour obsolescence programmée, de renforcer la lutte contre l’obsolescence logicielle,
Favoriser le réemploi et la réparation des terminaux, par exemple via la mise en place d’un taux de TVA réduit sur ces activités.

3ème axe : Faire émerger et développer des usages du numérique écologiquement vertueux
Améliorer l’éco-conception des sites et services numériques, qui pourrait être rendue obligatoire à moyen terme pour les administrations et les grandes entreprises,
Réguler l’offre des forfaits téléphoniques « données illimitées »,
– Bâtir une « régulation de l’attention », notamment en interdisant certaines pratiques comme le lancement automatique des vidéos et le scroll infini.

4ème axe : Aller vers des data centers et des réseaux moins énergivores
– Inciter l’amélioration de performance énergétique et la sobriété des data centers (centres informatiques) et des réseaux. Et favoriser leur installation en France.
– Renforcer la complémentarité entre les data centers et les énergies renouvelables,
– Atteindre les objectifs du plan France très haut débit pour améliorer la connectivité fibre, réseau le moins énergivore,
Évaluer l’empreinte environnementale de la 5G.