Revalorisation des retraites agricoles : Caramba, encore raté !

19 avril 2018 | Actualités / Sénat

retraite-agricole19/04/18 | Tribune libre de Nicole Bonnefoy

Revalorisation des retraites agricoles : Caramba, encore raté !

Le Sénat a examiné, le 7 mars dernier, une proposition de loi relative à la revalorisation des pensions de retraites agricoles. Pour autant, la « haute-assemblée » n’a pas voté, ou plutôt n’a pas pu voter, en faveur de ce texte de bon sens et de reconnaissance du dur labeur de nos anciens agriculteurs. Retour sur un incroyable couac …

Cette proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale par deux députés communistes lors du précédent quinquennat, sous la présidence de François Hollande ; adoptée le 2 février 2017 par les députés de tous bords de l’hémicycle, il a fallu attendre plus d’un an avant qu’elle fasse enfin la navette jusqu’au Sénat dans le cadre d’une « niche » du groupe communiste (en fonction de son nombre de parlementaires inscrits, chaque groupe dispose de la maîtrise de l’ordre du jour du Parlement pendant un à cinq jours par an), puisque ni le Gouvernement ni le Président du Sénat n’ont souhaité l’inscrire à notre ordre du jour sur leurs créneaux. Ces détails – qui n’en sont pas ! – ont toute leur importance, nous le verrons plus tard.

Les auteurs de cette proposition de loi sont partis d’un constat simple : en France, on compte plus d’un million et demi d’exploitants agricoles à la retraite, dont la retraite moyenne s’élève à 766 euros par mois – en comparaison des 1800 euros par mois pour l’ensemble des retraités français. Ce montant, qui est inférieur au seuil de pauvreté et à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), doit être tempéré par le fait qu’un retraité agricole non-salarié sur trois perçoit moins de 350 € par mois … Ces chiffres s’expliquent car le régime de retraites agricoles fait face à des difficultés structurelles de financement qui le déséquilibrent profondément : le nombre d’actifs se réduit année après année, mais ils doivent contribuer au financement de la retraite de quatre millions d’anciens salariés et non-salariés, pour l’équivalent de 13,5 milliards d’euros de prestations par an ! Il est donc indispensable de trouver rapidement des ressources pérennes et durables pour redresser financièrement le système de retraites agricoles – et réévaluer en conséquence les droits de ces retraités, qui subissent aujourd’hui une précarité injuste après des carrières longues et pénibles au service de tous les Français.

La majorité socialiste a, pendant cinq ans, eu une politique extrêmement volontariste pour les retraites agricoles, en y consacrant près d’un milliard d’euros durant le quinquennat. Les deux mesures principales consistaient en la mise en place d’une garantie « 75% du SMIC » pour les chefs d’exploitations (par le biais d’un complément différentiel de points de retraite) qui a bénéficié à 263000 personnes, et en l’attribution de droits gratuits aux conjoints (sous la forme de l’extension de la retraite complémentaire obligatoire) pour les années précédant leur affiliation au régime complémentaire (devenue automatique en 2011). Ces mesures sont de réelles avancées, qui pouvaient être complétées par le dispositif prévu dans cette proposition de loi.

Ce texte, débattu au Sénat le 7 mars dernier, présentait une série de mesures visant à garantir simultanément la revalorisation des retraites agricoles, avec une garantie minimale de retraite portée à 85 % du SMIC à partir du 1er janvier 2018 (bien au-delà du seuil actuel de 75%), et la pérennité du régime agricole, avec la mise en place d’une taxe additionnelle de 0,1% sur les transactions financières des sociétés dont la capitalisation boursière est supérieure à un milliard d’euros (cette taxe rapporterait plus d’un milliard et demi d’euros par an), dans le but de financer le régime de retraite complémentaire agricole. Qui serait assez fou ou déraisonnable pour s’opposer à un tel texte, qui offre de nouveaux droits et protections à ceux qui exercent l’activité la plus fondamentale de l’humanité, le travail de la terre ?

Le Gouvernement nous a pourtant réservé une bien curieuse surprise en séance, en dégainant une arme constitutionnelle rare au Sénat : l’article 44 alinéa 3. Cet article, qui prévoit le mécanisme du « vote bloqué », est d’une grande efficacité, malgré sa complexité apparente : « si le Gouvernement le demande, l’assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement. » Ainsi, le Gouvernement a présenté aux sénateurs un nouveau texte, bien différent de celui adopté par l’Assemblée nationale un an avant. Le coup se retourne alors contre son auteur : alors que le groupe communiste avait parfaitement manœuvré en inscrivant à l’ordre du jour un texte consensuel adopté par l’Assemblée nationale sous l’ancienne législature, et dont l’adoption conforme par le Sénat aurait permis à cette proposition d’avoir force de loi, la nouvelle majorité dégaine « l’arme parlementaire atomique » pour écraser une mouche …

Quoi qu’il soit advenu au moment du vote, le texte serait en fait retourné à l’Assemblée nationale : en cas de vote favorable sur le texte du Gouvernement, l’Assemblée aurait dû examiner le texte adopté par le Sénat et l’adopter dans sa nouvelle version pour qu’il devienne une loi (ce qui aurait été probable, mais totalement contraire à la volonté initiale des auteurs du texte) ; en cas de vote défavorable sur le texte du Gouvernement, l’adoption en première lecture en 2017 par l’Assemblée nationale serait devenue sans effet et le processus législatif aurait dû repartir de zéro. Pour éviter un tel gâchis et pour protester contre l’utilisation d’une procédure très rare et totalement disproportionnée pour l’examen d’une proposition de loi, les sénateurs communistes ont préféré retirer de l’ordre du jour ce texte, en espérant le soumettre une nouvelle fois à notre examen dans les mois à venir.

Il est dommage que ce nouveau Gouvernement, qui a déjà mis en œuvre en cours d’année 2017 l’augmentation de 1,3% du taux de cotisation des exploitants agricoles (alors que nous avions décidé de la geler en 2015 et 2016), détourne de son but initial une procédure législative bien particulière pour repousser ce texte de progrès social et extraire des retraités du seuil de pauvreté dans lequel ils sont plongés, au lendemain du Salon de l’agriculture et à la veille d’une énième réforme des retraites. Et les arguments d’apothicaires avancés sur le coût engendré par une telle réforme, avec une ponction rétroactive d’un demi-milliard d’euros sur la taxe sur les transactions financières n’ont convaincu personne, au regard des (trop) nombreux cadeaux formulés aux « premiers de cordée » depuis l’été dernier …