Proposition de loi visant à rétablir l’équité territoriale face aux déserts médicaux et garantir l’accès à la santé de tous
Après la crise sans précédent des urgences hospitalières cet été où nous avons été nombreux à être confrontés à des fermetures de services dans nos territoires, le groupe socialiste du Sénat a décidé de consacrer son premier espace réservé de la session parlementaire à la santé et plus particulièrement à la lutte contre les déserts médicaux, qui préoccupent tous les Français, ruraux comme urbains.
En effet, environ 11 % d’entre nous, soit six millions de personnes, n’ont pas de médecin traitant. C’est le cas également pour 657 000 personnes en affection de longue durée (ALD) pour lesquelles cette question est encore plus vitale.
Nos concitoyens ne trouvent pas les rendez-vous nécessaires ou ont peur de ne pas les trouver et de perdre des chances de guérison, les médecins eux voient les listes de patients s’allonger, se retrouvant de plus en plus dans l’obligation d’en refuser, tandis que les élus locaux multiplient les projets pour attirer les médecins.
S’il n’y a pas de réponse miracle, un ensemble de mesures volontaristes coordonnées peuvent, et pour certaines dès 2023, augmenter significativement le temps médical disponible pour les patients dans nos territoires, et donc l’accès aux soins de premier recours qui permettra également de désengorger les services d’urgence.
A défaut d’une grande loi santé qui ne vient toujours pas, tout comme c’est le cas pour l’autonomie et le grand âge, nous avons retroussé nos manches et construit, à la suite d’un travail approfondi d’auditions de toutes les parties concernées (représentants des professionnels de santé, des étudiants en médecine, des collectivités locales, des associations de coordination en santé…) un ensemble de mesures concrètes dont le sénat a débattues ce jeudi 8 décembre.
Irriguer nos territoires de 35 à 40 médecins généralistes par département dès 2023
Nous proposons une année obligatoire de professionnalisation pendant un an, en ambulatoire, c’est à dire auprès d’un médecin superviseur déjà installé en cabinet, en zone sous-dense, pour tous les jeunes médecins à la sortie de leur internat.
Quelle différence avec ce que le Gouvernement a inscrit dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 ? Cette année d’exercice en zone sous dense n’est pas facultative mais est une obligation, elle ne peut se faire qu’en médecine de ville (pas à l’hôpital même à titre dérogatoire) et n’est pas comprise dans l’internat pour que ces jeunes médecins aient un statut spécifique et soient rémunérés à la hauteur de leur travail et de leur investissement. Il ne s’agit pas de leur faire porter la responsabilité de la situation mais de de leur demander de participer à l’effort collectif en reconnaissant en contrepartie cet effort à sa juste valeur.
C’est à ces conditions que nous pourrons irriguer nos territoires de 3500 à 4000 médecins en accès direct par an. En ayant vécu et expérimenté l’exercice médical en zone sous-dotée, ils seront plus à même de s’y installer durablement. Dans notre dispositif, les jeunes médecins choisiront librement leur affectation sur des listes départementales, établies avec les professionnels de santé et les élus.
Rompre l’isolement des médecins et rendre obligatoire l’exercice coordonné de la médecine de premier recours
Là encore, nous initions une mesure courageuse : il s’agit de rompre avec l’exercice habituel de la médecine tel que nous le connaissons depuis des décennies. Les jeunes médecins ne veulent plus exercer comme leurs prédécesseurs, ils ne veulent plus exercer seuls dans un cabinet : ils sont demandeurs d’une pratique plus collective. Nous proposons donc de rendre l’exercice coordonné obligatoire, de même que les protocoles de partage des tâches entre le médecin traitant et les autres professionnels de santé (personnel infirmier, sage-femmes, assistants médicaux…). Cet exercice devra être souple : de la simple convention d’équipes de soins primaires à la maison de santé pluriprofessionnelle. Toutes les organisations permettant de dégager du temps médical devront être accessibles afin que chaque médecin puisse trouver la solution d’installation qui lui convient.
Rétablir l’obligation de garde des médecins libéraux
Sa suppression en 2002 par Jean-François Mattei marque l’érosion de l’offre de prise en charge : en 2021, seuls 38 % des médecins – toujours les mêmes – participaient à la permanence des soins ambulatoires (PDSA), laissant l’hôpital, engorgé, comme seul recours pour nombre de nos concitoyens.
Nous devons renouer avec une obligation par bassin de vie, mais en concertation avec les professionnels et les établissements de santé : là aussi, ce sont eux qui sont les plus à mêmes de définir, en fonction du contexte local, l’organisation la plus adaptée et la plus efficiente.
Réguler l’installation des nouveaux médecins
Les aides à l’installation se multiplient, mais le résultat n’est pas à la hauteur. Il faut désormais franchir une autre étape et réguler l’installation, en étendant aux médecins libéraux ce qui existe déjà pour les sage-femmes, les infirmiers et les kinésithérapeutes. Au Canada, cette mesure a été efficace. Ainsi, un nouveau médecin libéral ne pourra être conventionné qu’à la cessation d’activité d’un médecin de la même zone, hors zones tendues. Cela prépare l’avenir, tout en étant peu contraignant au regard des nombreux départs en retraite à venir.
Aider financièrement de la même manière l’exercice libéral et salarié en maison de santé
La distinction entre exercice libéral et exercice dans les maisons de santé ne peut suffire à fonder des différences dans l’octroi des aides conventionnelles visant à encourager l’installation des professionnels ou le maintien de leur activité dans les zones sous-dotées. Ces aides ne sont pas systématiquement défavorables aux centres de santé, mais les médecins libéraux sont favorisés. Mettons un terme à cette inégalité de traitement, au détriment des centres de santé.
Vous le voyez, notre texte sort clairement de l’incitation pour à la fois demander des efforts proportionnés aux médecins et aux étudiants, et développer concomitamment la coordination de tous les acteurs. Si nous instaurons un certain nombre d’obligations, nous en fixons le principe et le cadre tout en donnant aux professionnels concernés les moyens de se coordonner, de s’organiser entre eux et d’en choisir les modalités. Nous considérons que c’est seulement avec ces efforts conjugués que nous pourrons préserver l’accès aux soins partout.
Si un consensus peut être trouvé sur le constat de la situation catastrophique de l’accès à la santé et sur l’urgence à agir, l’examen de notre proposition de loi a malheureusement démontré que ni le gouvernement ni la majorité sénatoriale n’était prête à nous suivre dans ces propositions de rupture. Pourtant, avec cette proposition de loi, nous apportons des réponses concrètes, efficaces et pragmatiques pour répondre à ce problème des déserts médicaux qui nous taraude tous.