Fonds pour les victimes des pesticides : Nicole Bonnefoy dépose une proposition de loi

19 août 2016 | Actualités / Sénat

19/08/16 | Article de La Vie Charentaise

Fonds pour les victimes des pesticides : Nicole Bonnefoy dépose une proposition de loi

La sénatrice charentaise Nicole Bonnefoy persiste et signe. Rapporteur en 2012 d’une mission d’information sur les pesticides, elle a déposé début juillet une proposition de loi pour la création d’un fonds d’indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques.

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Vous avez déposé début juillet au Sénat une proposition de loi pour la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. Avez-vous bon espoir de la voir discutée, cette fois ?

Tout a fait. C’est la deuxième proposition de loi que je dépose. Elle a été enregistrée par le Sénat le 13 juillet dernier et elle est appuyée par les deux ministres de l’Agriculture et de la Santé. J’ai évidemment travaillé avec les services de Stéphane Le Foll et de Marisol Touraine pour la rédaction juridique des articles. Ils sont au nombre de huit — pas plus —, parce que j’ai tiré les enseignements de la première proposition de loi que j’avais déposée en juillet 2013. Faisant suite à la rédaction de mon rapport sénatorial « Pesticides : vers le risque zéro« , cette première proposition était trop vaste et abordait trop de sujets. Cette nouvelle proposition de loi est centrée sur la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des pesticides, fruit d’un travail mené conjointement avec Paul François, céréalier à Bernac et président de Phyto-Victimes. Ce fonds, qui serait abondé par les fabricants des produits phytopharmaceutiques, vise à compléter le dispositif de réparation du préjudice (économique et moral) subi par les personnes atteintes de maladies liées aux phytos; que ces maladies soient ou non, il faut bien le préciser, d’origine professionnelle.
Il complétera la prise en charge des soins et l’indemnisation versées par les organismes de sécurité sociale.
Le fonds doit également permettre d’accompagner les victimes en facilitant leurs démarches.

Vous plaidez pour un fonds abondé par les firmes de produits phyto. Sur le sujet, vous avez rencontré les représentants de l’UIPP (Union des industries de la protection des plantes). Comment ont-ils accueilli votre initiative ?

Ils ont demandé à y réfléchir. Puis, plus rien, silence radio. Je pense qu’ils attendent de voir quel sera l’avenir de la proposition de loi.
Il existe déjà une taxe sur la vente des produits phytopharmaceutiques ayant reçu une Autorisation de mise sur le marché (AMM). Elle est acquittée par les metteurs sur le marché de produits phytopharmaceutiques dans la limite de 0,3 % de leur chiffre d’affaires annuel. Son produit — environ 6 millions d’euros — est affecté au financement de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). En augmentant cette taxe, à hauteur par exemple de 0,7 ou 0.8 % — sans pour autant provoquer de déséquilibre financier pour les firmes phytopharmaceutiques, qui génère près de deux milliards de chiffre d’affaires —, on pourrait aussi financer ce fonds d’indemnisation des victimes. Je pense qu’en termes d’image, les firmes seraient aussi gagnantes à cette implication financière.

Quel est le timing de votre proposition de loi, désormais ?

De deux choses l’une : soit la proposition de loi est présentée comme « niche » de mon groupe politique (ndlr : socialiste), mais je n’y crois pas; soit elle prend la forme d’un amendement en vue des discussions portant sur la loi de finances ou de santé, ce qui serait le plus logique. Il reste
donc à moduler la proposition de loi en amendement. De ce fait, elle ne portera pas mon nom… ce dont je me fiche !

Vous avez rédigé votre rapport sénatorial après la mission d’information sur les pesticides en 2012. Et c’est seulement en juillet dernier que l’Anses vient d’arriver aux mêmes conclusions que celles de votre rapport. N’est-ce pas du temps perdu pour vous ?

Non, parce que, vous l’avez dit, les préconisations de l’Anses rejoignent celles de mon rapport, fondé sur cinq constats majeurs : la sous-évaluation des dangers et des risques des pesticides sur la santé; le manque de contrôle des produits après leur mise sur le marché; l’insuffisance des protections (EPI, cabine de tracteurs…) des utilisateurs et du reste de la population; l’absence de prise en compte de la problématique santé dans les pratiques industrielles, agricoles et commerciales; l’abandon du plan Ecophyto, qui, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, fixait, à l’origine à 2018, la réduction de 50 % des produits phyto.
Ensuite, ce que l’on ne sait pas forcément, c’est qu’un certain nombre de dispositions issues de la mission d’information sénatoriale dont j’étais rapporteur — une centaine de recommandations émises — ont déjà été reprises dans la loi d’avenir pour l’agriculture, adoptée en 2014. Telles : l’interdiction de la publicité pour les produits phytosanitaires destinée au grand public; la création d’un dispositif de « phytopharmacovigilance » et d’un suivi des produits après leur mise en marché; la mise en place de mesures de protection adaptées (horaires pour les traitements des parcelles, équipements techniques pour éviter la dissémination des produits…) à proximité des écoles et autres lieux pouvant accueillir des personnes sensibles (hôpitaux, maisons de retraite…).
Outre ces avancées, je n’ai rien lâché. Je ne voulais pas que mon rapport sénatorial finisse dans un placard et j’ai fait encore adopter des  amendements dans la loi d’avenir : pour lutter contre la contrefaçon, la fraude et les importations illégales (venant d’Espagne, notamment) de produits phytopharmaceutiques; pour assurer la protection des aires d’alimentation des captages d’eau potable; pour que la publicité prévienne aussi des dangers potentiels pour la santé et l’environnement; pour que l’Anses prenne en compte les adjuvants dans ses évaluations et que cette agence rende régulièrement des comptes au Parlement.

Qu’en est-il de l’interdiction de la vente des pesticides aux particuliers et de leur utilisation par les collectivités ?

Initialement fixée a 2020 par la loi Labbé — sénateur EEVL du Morbihan, qui était vice-président de notre mission d’information sur les pesticides —, cette interdiction entrera en vigueur au 1er janvier 2017. La commercialisation des pesticides et leur détention pour un usage non professionnel sera, elle, interdite à partir du 1er janvier 2019.

Les citoyens vont aussi pouvoir mener des actions de groupe en matière environnementale…

En mai 2016, l’Assemblée Nationale a adopté dans le cadre du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, le principe de l’action de groupe en matière environnementale, tel que je l’avais proposé dès l’automne précédent en première lecture du texte au Sénat. Cette « class action » à la française donne la possibilité aux citoyens d’engager collectivement une action en justice pour obtenir la réparation et la cessation de dommages subis suite à une atteinte causée par le non-respect du droit de l’environnement.

Vous êtes sénatrice et conseillère départementale du canton Boixe et Manslois, en terre céréalière du nord-Charente. Les pesticides y sont un sujet sensible pour des agriculteurs qui se sentent pointés du doigt. N’avez-vous pas peur d’être accusée d’en « rajouter une couche » avec cette proposition de loi ?

Attention à ne pas se tromper de cible : ce ne sont pas les agriculteurs qui sont mis en cause, mais bien la responsabilité des firmes phytopharmaceutiques. Ce n’est pas une proposition de loi contre les agriculteurs, car ils ne supporteront pas le coût de ce fonds par des cotisations sociales et surtout, en tant que victimes potentielles, ils pourront en bénéficier. Regardez le combat que Paul François a dû mener seul ou presque ! Et encore avait-il les moyens physiques et économiques de tenir ! Certains ne les ont pas… Toutes mes pensées vont par ailleurs à ce couple d’agriculteurs retraités de Montemboeuf qui a perdu son fils, salarié d’une entreprise d’entretien de matériel viticole et qui se débat depuis 2012 pour faire reconnaitre le lien direct entre le décès de son enfant et la manipulation des produits phyto. (…) Article La Vie Charentaise

Dossier :

Dossier : Pesticides et impact sur la santé et l’environnement
Texte : La proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques
Rapport : « Pesticides : Vers le risque zéro »

En savoir + :

Sénat : Mission commune d’information portant sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement
Plan Ecophyto
Association Phyto-victimes