Nicole Bonnefoy s’oppose à l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution

21 mars 2016 | Actualités / Sénat

21/03/16 | Tribune libre de Nicole Bonnefoy

Nicole Bonnefoy s’oppose à l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution

Le 17 mars 2016, le Sénat a achevé l’examen en première lecture du projet de révision constitutionnelle « de protection de la nation ». Opposée à l’inscription dans la Constitution du principe de déchéance de nationalité, j’ai cosigné avec une trentaine de mes collègues socialistes un amendement de suppression de l’article 2 visant à l’instituer.

L’article 2 du projet de révision constitutionnelle, tel qu’adopté par l’Assemblée Nationale, proposait de faire mentionner dans notre loi fondamentale le principe de la déchéance de nationalité, lequel devait viser en pratique les bi-nationaux. Opposée à cette mesure de par mes convictions intimes, j’ai tenu à exprimer ce désaccord en cosignant un amendement de suppression de l’article (lien : http://www.senat.fr/amendements/2015-2016/395/Amdt_43.html) dont les raisons sont les suivantes :

Cette mesure est inutile et inefficace car elle ne serait en aucun cas dissuasive. Au-delà de son aspect symbolique, elle n’est évidemment pas de nature à dissuader une personne en cours de radicalisation ou radicalisée de commettre le pire. Elle n’apporte donc aucune garantie supplémentaire en matière de protection des populations.

Cette révision ne saurait également se prévaloir de répondre aux attentats ayant endeuillé la France en 2015. En effet, aucun des terroristes de janvier et de novembre 2015 n’aurait pu faire l’objet d’une déchéance de nationalité. A l’exception d’un franco-belge, aucune autre des personnes de nationalité française identifiée comme terroriste ne disposait d’une autre nationalité.

– En outre, l’application d’une telle mesure poserait des difficultés d’ordre diplomatique. D’une part, il appartient à la France de prendre en charge les criminels qu’elle engendre. D’autre part, les pays concernés pourraient, dans une course à la déchéance, agir en premier, et la France ne pourrait dès lors plus déchoir la personne concernée du fait de sa seule nationalité française. Si l’expulsion du territoire français, but affiché par le gouvernement pour justifier l’article 2 du projet de révision constitutionnelle, entraîne la reconduite de l’intéressé dans un État qui l’expose à la peine de mort ou à des traitements inhumains et dégradants, elle ne pourra pas avoir lieu. En dépit de l’adoption de l’article 2, puis de la loi d’application, la personne condamnée pour terrorisme restera sur le territoire français.

Une telle mesure serait également de nature à modifier la conception de la République française à l’égard du sentiment d’appartenance à la Nation. La constitutionnalisation de la déchéance revient à considérer que tout lien familial, culturel, linguistique avec un autre pays, équivaudrait à un défaut d’allégeance nationale. Supprimer l’article 2 revient donc à éviter les risques supplémentaires d’une nouvelle fracture française et à rétablir les conditions d’un sentiment commun d’appartenance et d’indivisibilité de la Nation.

La majorité sénatoriale a finalement décidé d’adopter une version de l’article 2 différente de celle de l’Assemblée Nationale. Au regard des particularités d’une révision constitutionnelle, nécessitant un accord parfait entre les deux assemblées, sans la possibilité de convoquer une commission mixte paritaire pour ce faire, l’issue décidée par le Sénat compromet désormais l’inscription du principe de déchéance de nationalité dans la Constitution à l’occasion de cette révision.