Alimentation, circuits courts et produits Bio

19 avril 2010 | Tribune libre

[ Tribune libre du 19/04/10 de Nicole Bonnefoy ]

Circuits courts et produits BioÀ l’approche du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, qui sera examiné le 18 mai prochain au Sénat, je souhaite revenir sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur et pour lequel je milite depuis de nombreuses années : celui de l’agriculture biologique et de l’éducation nutritionnelle. Comme vous le savez, la « malbouffe » est aujourd’hui, un problème de santé publique majeure contre lequel il faut lutter. Les maladies cardiovasculaires, l’hypertension artérielle ou encore le diabète sont des maladies qui ont, bien souvent, pour origine une alimentation déséquilibrée et de mauvaise qualité. Le phénomène d’obésité, à l’instar des Etats-Unis, se développe aujourd’hui en France en touchant particulièrement les enfants, à des âges de plus en précoces.
L’industrialisation massive de l’agriculture a conduit malheureusement, dans la majorité des cas, à une substitution de la qualité par la quantité.
C’est partant de ce constat que j’ai décidé, il y a déjà quelques années, de m’investir sur les questions relatives à l’éducation nutritionnelle et à l’alimentation Bio, dans les établissements scolaires, afin d’offrir à nos enfants, une véritable alimentation saine et équilibrée. Une telle politique doit passer de mon point de vue, à la fois par une éducation au goût et au plaisir de la table, mais aussi par un approvisionnement en denrées périssables par ces établissements auprès d’agriculteurs locaux ayant une activité biologique. (Pour information, en France, un produit Bio doit contenir au moins 95 % de composants issus d’un mode de production biologique « mettant en œuvre des pratiques agronomiques et d’élevage respectueuses des équilibres naturels de l’environnement et du bien-être animal » )

C’est pour ces raisons que, depuis que je suis élue, j’essaie de sensibiliser le maximum d’acteurs de la restauration dans ce domaine et que je tente d’impulser de nombreux projets pour essayer de redonner aux plus jeunes le plaisir de la table, la convivialité et le goût pour la cuisine.

Ce sont ces notions qui, pour moi, devraient être au cœur de toute politique de l’alimentation.

Dans le cadre de mes mandats, j’ai déjà réussi à obtenir des avancées dans ce domaine. En tant que conseillère régionale, j’ai participé à l’installation de fontaines à eau dans chaque lycée de notre Région, suite à la suppression des distributeurs de boissons sucrées en 2004. J’ai aussi apporté de nombreuses aides financières pour que les produits Bio entrent dans les cantines des lycées. Puis, avec la Communauté de communes de Ruffec et les communes volontaires du Ruffécois, nous avons mis en place des campagnes de sensibilisation à la santé par l’alimentation dans les écoles maternelles et primaires.

Je poursuis actuellement ces efforts en tant que Sénateur. Alertée au mois de mars par des producteurs charentais, j’ai interpellé M. Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture et de la pêche, par une question écrite, au sujet d’une récente décision du Conseil d’Etat qui va mettre à mal le développement des circuits courts dans nos départements et nos régions. En effet, dans sa décision du 10 février dernier, le Conseil d’Etat a rabaissé le seuil des marchés publics pouvant être passés sans publicité ni mise en concurrence à 4.000 euros. Or, depuis 2008, ce seuil avait été fixé à 20.000 euros, permettant ainsi à de nombreuses collectivités de mettre en place des partenariats avec des producteurs locaux n’ayant pas la possibilité de répondre, en temps normal, aux appels d’offre. Nous assistons donc à un retour en arrière !
C’est une décision qui va inévitablement freiner le développement des circuits courts et aussi, certainement, le développement de l’agriculture biologique. J’ai donc demandé au ministre ce qu’il comptait faire, suite à ce décret, pour développer et encourager les circuits-courts et l’alimentation Biologique dans nos cantines, comme le Gouvernement l’avait promis l’année dernière. Je n’ai pas encore obtenu de réponse.

Dans le cadre de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, je vais formuler un certain nombre de propositions, par le biais d’amendement, pour favoriser la mise en place d’une politique alimentaire saine et équilibrée, valorisant nos producteurs locaux et l’agriculture biologique. Ainsi, avec le groupe socialiste du Sénat, je vais proposer de :

Rétablir le seuil de 20.000 euros pour la passation des marchés publics sans formalités préalables afin que les efforts entrepris par les collectivités pour développer une restauration scolaire saine et de qualité n’aient pas été vain.

Etudier la possibilité d’instaurer un « coût carbone » s’appliquant aux prestataires de restauration scolaire afin que les politiques de l’alimentation, de la santé et de l’environnement soient liées entre elles. Certaines collectivités mettent, d’ores et déjà, en place de telles mesures en demandant notamment aux prestataires de leur fournir un “bilan carbone” de leurs activités. Ce sont des pratiques à encourager et à généraliser qui favoriseront le développement d’une activité agricole locale de qualité.

Demander qu’un décret en Conseil d’Etat fixe, dans les 6 mois après la promulgation de la loi, les vraies modalités pour le développement des circuits courts et de l’alimentation Bio dans la restauration scolaire. Ce sont des notions qui semblent être oubliées dans le texte du Gouvernement. Mettre en place une véritable politique incitatrice dans ce domaine permettrait, au-delà de l’amélioration de la qualité des aliments et du respect de l’environnement, d’encourager les producteurs locaux à maintenir leurs activités.

Réintroduire dans le code des marchés publics une disposition, appliquée de 2001 à 2005, qui permettait aux collectivités territoriales, en deçà d’un seuil de 200.000 euros, et à l’Etat, en-deçà de 130.000 euros, de pouvoir s’approvisionner en denrées alimentaires périssables sur les marchés, les foires et directement sur les lieux de production, sans formalités préalables et donc sans passer par des marchés publics. Il est impensable, aujourd’hui, que les collectivités ne puissent avoir accès à certaines zones d’échange comme les MIN ou les MIR (Marchés d’intérêt national et d’intérêt régional), piliers pourtant fondamentaux pour mener une politique de développement des circuits courts.

Mener une étude d’évaluation sérieuse et concrète sur le surcoût induit par l’obligation, pour les collectivités, de respecter les recommandations nutritionnelles dans la restauration scolaire. En effet, le texte du Gouvernement prévoit que le surcoût induit par la mise en respect de ces normes sera à la charge des collectivités territoriales.

J’espère que ces propositions recevront un écho favorable et que le texte initial sera enrichie par des mesures concrètes.

En effet, initialement, ce projet de loi pouvait laisser augurer de grandes avancées dans le domaine de l’alimentation et de l’agriculture Bio avec un volet consacré entièrement à la mise en place d’une politique publique de l’alimentation à l’échelon national. Mais malheureusement, au regard du texte, nous pouvons être déçus. Il s’agit plus d’un ensemble de recommandations, sans mesures concrètes et normatives qui auraient pu, elles, inciter à modifier les habitudes alimentaires permettant la mise en place d’une politique alimentaire de qualité.

Il faut cependant reconnaitre que certains éléments du projet de loi du Gouvernement sont à saluer comme celui d’apporter une aide alimentaire au plus démunis, de renforcer les contrôles dans les restaurants scolaires ou encore “d’assurer à la population l’accès à une alimentation sûre, diversifiée, en quantité suffisante, de bonne qualité nutritionnelle, produite dans des conditions durables”. Ce sont des mesures louables et tout à fait indispensables aujourd’hui.

Mais une fois de plus, le problème repose sur les moyens qui seront déployés pour mettre en œuvre ces politiques. On peut, en effet, avoir des doutes sur la capacité des services de l’Etat à réaliser des contrôles sanitaires accrus si le nombre d’agents chargés de cette mission reste constant et surtout si ces derniers ne reçoivent pas une formation spécifique dans ce domaine.
De plus, comme je viens de le préciser, les coûts induits par l’obligation de respecter les recommandations nutritionnelles seront à la charge des collectivités. Certaines communes vont donc rencontrer des difficultés financières à la fois pour former leur personnel, pour recruter éventuellement un diététicien ou, tout simplement, pour augmenter leur budget consacré aux matières premières. Or, aucun investissement, financier comme humain, n’est prévu dans le texte du Gouvernement alors que les objectifs qu‘il s‘est fixés en nécessitent forcément. Il n’y a, aussi, aucune mesure incitative ou contraignante prévue pour favoriser l’approvisionnement de denrées périssables auprès de producteurs locaux ou ayant une activité agricole biologique respectant l’environnement. Comment imaginer, demain, que de simples recommandations puissent faire changer le système actuel ? Les producteurs locaux rencontreront toujours le problème de la compétitivité face aux industriels de l’alimentation et ne seront jamais solvables lors d’appels d’offre.

Je redoute donc, une fois de plus, que cette “politique publique de l’alimentation” ne soit qu’un effet d’annonce, sans moyens dégagés pour sa mise en œuvre et qui ne fera que pérenniser le système actuel.

C’est pour ces raisons que le groupe socialiste et moi-même, feront une série de propositions lors de l’examen de ce texte au Sénat afin de promouvoir l’agriculture biologique, le développement des circuits courts et d’encourager les partenariats entre les collectivités et les producteurs locaux dans le domaine de la restauration scolaire.

En savoir + :

Tribune libre : Poids et enjeux de la restauration collective en France. Quelles perspectives pour la filière bio ?
Question écrite sur les circuits courts et la restauration scolaire
Tribune libre : « Projet de loi de modernisation de l’agriculture : un coup d’épée dans l’eau »
Amendement n°96 (article Ier) déposé par Nicole Bonnefoy
Amendement n°104 (article additionnel) déposé par Nicole Bonnefoy
Vidéo du 18/05/10 : Intervention en séance publique
Tribune libre : « Alimentation, circuits courts et produits Bio »
Le programme d’éducation nutritionnelle sur le Ruffécois

Revue de presse :

Nicole Bonnefoy intervient auprès du ministre au sujet des circuits courts