Projet de loi « souveraineté alimentaire » : un texte décevant, en deçà des attentes du monde agricole et marquant des reculs environnementaux inacceptables

20 février 2025 | Actualités / Sénat

Après plus de deux ans d’attente, le projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture vient d’être adopté au Parlement.

Censé offrir des perspectives à nos agriculteurs et répondre à la crise actuelle qui se manifeste sur l’ensemble de notre territoire, ce projet de loi aura finalement généré davantage de frustrations et de colère que de réelles satisfactions. En grande partie déclarative, cette loi bavarde se borne à préciser les grandes finalités théoriques de nos politiques agricoles, sans rentrer concrètement dans les outils opérationnels pour les mettre en œuvre.

Les sénateurs SER pouvaient pourtant en partager le diagnostic assez alarmant. Notre agriculture devra effectivement surmonter 3 grandes crises dans les années à venir : 

  • Une crise sanitaire et environnementale : particulièrement au regard de la multiplication des aléas climatiques et des problématiques d’accès à l’eau,
  • Une crise économique avec un durcissement des relations commerciales et une France qui, si elle reste autosuffisante pour 76 % de sa consommation totale en volume, demeure très dépendante de ses importations dans de nombreuses filières,
  • Une crise de renouvellement des générations : avec un déficit annoncé d’actifs agricoles à horizon 2030 où 50% des actifs auront l’âge légal de partir à la retraite.

Face à cette situation, nous aurions pu attendre des réponses fortes. Or, ce texte reste dans l’ensemble très programmatique et vise principalement à fixer les grands objectifs de nos politiques publiques agricoles en matière de souveraineté, de formation et d’installation, tout en manquant de faire du virage agroécologique notre boussole pour les années à venir.

Le peu de mesures concrètes reste ainsi très à la marge au vu des défis que nous venons d’évoquer. La création d’un futur guichet unique départemental dont le rôle et les contours restent flous, d’un nouveau diplôme dont nous pouvons nous interroger de l’impact réel ou de la création d’un diagnostic modulaire principalement tourné vers la compétitivité et qui restera facultatif et non contraignant, ne donneront pas de perspectives d’avenir à nos agriculteurs. Surtout, nous déplorons l’absence d’avancées sur des thématiques pourtant centrales :

  • Rien en faveur d’un meilleur revenu des agriculteurs,
  • Rien en faveur d’un rééquilibrage des relations commerciales,
  • Rien pour réguler le foncier agricole,
  • Rien pour réformer notre système d’aides qui reste orienté vers le productivisme.

Au-delà de cette déception face à cette occasion manquée, il demeure de réelles inquiétudes. Avec ce texte, le Gouvernement poursuit en effet sa logique libérale d’allégement des règles environnementales, dans la continuité des nombreuses mesures de simplifications annoncées et mises en œuvre depuis 2022.

Ainsi, le projet de loi acte des reculs importants :

  • Le principe de non-régression de la souveraineté alimentaire selon lequel le potentiel agricole ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante. Se faisant, ce texte donne une orientation très productiviste à notre politique agricole et nous interroge sur son adéquation avec nos engagements environnementaux.
  • L’introduction du principe de refus des interdictions de produits phytopharmaceutiques dès lors qu’ils sont autorisés par l’Union européen. En somme, c’est la porte ouverture à la réautorisation de substances comme les néonicotinoïdes.
  • Le fait de restreindre considérablement les sanctions applicables à la destruction illicite d’espèces, d’habitats naturels ou de sites protégés,
  • De poser le principe de présomption de non-intentionnalité des infractions, d’alléger l’échelle des sanctions applicables ou encore de dépénaliser de certaines infractions,
  • D’accélérer les procédures de contentieux contre des projets d’ouvrage hydraulique agricole, sujet particulièrement sensible dans notre société.
  • Durant les débats, les sénateurs SER n’auront eu de cesse de défendre un autre modèle agricole, plus durable, plus humain et plus respectueux de son environnement, sans jamais tomber dans le piège d’opposer les agricultures entre elles. Notre agriculture doit rester compétitive et permettre à ses filières d’exporter, mais elle doit également rester d’excellence et cette excellence passe par un virage agroécologique indispensable à sa survie, alliant performance économique, environnementale et sociale.

Pour ce faire, nous avons porté des propositions visant à :

  • Opérer un véritable virage agroécologique : faire de l’enseignement et la formation les vecteurs de cette transition, mettre en place un diagnostic de santé et de qualité des sols, se fixer des objectifs contraignants en matière de réduction de l’usage des pesticides ou encore réintroduire un objectif chiffré de 21% de surface agricole en agriculture biologique en 2030, supprimé au Sénat mais finalement maintenu dans le texte final.
  • De défendre tous les agriculteurs dans leur diversité, en promouvant tous les modes de production et en préconisant un plus grand pluralisme dans les instances agricoles,
  • Reconnaitre le rôle majeur des opérateurs de l’Etat et les travaux scientifiques de l’OFB, l’ANSES ou l’INRAE, particulièrement à l’heure où ils sont remis en cause,
  • Mettre en œuvre une grande loi de régulation foncière qui lutte contre les agrandissements incontrôlés, l’accaparement et la financiarisation de nos terres,
  • Engager une grande réforme des aides de la PAC au travers de notre Plan stratégique national (PSN) afin d’en finir avec le modèle dominant des aides à l’hectare et valoriser d’autres dispositifs alliant l’économique et l’environnemental,
  • Supprimer tous les dispositifs constituant des reculs environnementaux inacceptables dans le présent projet de loi.

Malheureusement, malgré nos très nombreuses propositions lors des débats faisant de notre Groupe politique le plus actif de l’opposition, la droite sénatoriale est restée sourde, rejetant toutes nos idées et négociant sans cesse avec un Gouvernement complice, davantage obnubilé par l’adoption de son texte avant le Salon de l’agriculture que guidé par l’intérêt général.

Dans ces conditions, les sénateurs SER ont voté contre ce texte qui n’est ni à la hauteur des enjeux actuels ni à celle des attentes des agriculteurs qui veulent avant tout vivre dignement de leur métier, avec un revenu juste et des conditions de travail sûres et saines.