Première mondiale, indemnisation d’une victime des pesticides

9 octobre 2023 | Actualités / Sénat

C’est grâce au fonds d’indemnisation pour les victimes des pesticides que j’ai permis de créer par la loi, que cette famille a obtenu :

– un lien de causalité entre l’exposition prénatale de la maman aux pesticides (glyphosate) durant sa grossesse et la malformation de son enfant
– et une indemnisation par ce fonds d’indemnisation pour le préjudice subi.

C’est une avancée considérable dont je suis très fière même si je regrette que l’Etat ait ramené l’indemnisation du préjudice à une base forfaitaire alors que ma proposition de loi, la demandait intégrale pour tenir compte de la totalité des préjudices subis.

Article du Monde publié le 09 octobre 2023

Glyphosate : Théo Grataloup, porteur de graves malformations après une exposition prénatale, sera indemnisé

Les experts du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides ont reconnu un lien entre l’utilisation de l’herbicide controversé pendant la grossesse de la mère et la maladie de l’enfant, aujourd’hui âgé de 16 ans. Une première en France.

Par Stéphane Foucart Publié le 09 octobre 2023 à 19h15, modifié le 11 octobre 2023 à 15h49 

Temps de Lecture 4 min.

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En août 2006, Sabine Grataloup était enceinte. Elle l’ignorait lorsqu’elle a passé le manège de son centre équestre au Glyper, un herbicide à base de glyphosate. En mai de l’année suivante, elle mettait au monde Théo, atteint de graves malformations du larynx, de l’œsophage et du système respiratoire.

Près de seize ans plus tard, le 10 mars 2022, les experts du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) ont reconnu « la possibilité du lien de causalité entre la pathologie de l’enfant et l’exposition aux pesticides durant la période prénatale du fait de l’activité professionnelle de l’un ou des deux parents », ouvrant ainsi droit à l’indemnisation de la famille, à hauteur d’environ un millier d’euros par mois. Le versement sera effectué par la Mutualité sociale agricole, la sécurité sociale des agriculteurs. C’est la première fois en France que l’herbicide est officiellement considéré comme une cause potentielle de malformations congénitales.

Jusqu’à présent, l’information a été tenue confidentielle par la famille, déjà médiatiquement exposée depuis qu’elle a assigné, en 2018, les sociétés Novajardin et Monsanto – propriétaire de la marque Glyper pour la première, fournisseur de la substance active (le glyphosate) pour la seconde (désormais propriété de l’allemand Bayer). L’affaire n’a pas encore été jugée : les parties s’échangent toujours leurs conclusions – processus ralenti par la nécessité de fournir une traduction française de tous les documents versés à la procédure. Lire aussi (2018) : Article réservé à nos abonnés Glyphosate : la famille de Théo, 11 ans, exposé in utero, poursuit Monsanto Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections

Pourquoi avoir attendu plus de dix-huit mois avant de rendre public l’avis du FIVP ? « D’abord, nous avons été très exposés après l’annonce de nos poursuites en justice, et nous avons subi des attaques publiques très dures, sur les réseaux sociaux notamment, raconte Sabine Grataloup. Nous ne voulions pas non plus perturber la motivation de Théo pour ses études en lui révélant trop tôt qu’il allait être indemnisé. » L’indemnité en question court jusqu’à la « consolidation » de son état, et un réexamen du dossier par le FIVP est prévu pour mars 2025.

« Une expertise scientifique »

Aujourd’hui âgé de 16 ans, Théo Grataloup a depuis sa naissance subi cinquante-quatre interventions sous anesthésie générale, la majorité destinée à reconstruire ses systèmes digestif et respiratoire. Les six premières années de sa vie, raconte sa mère, ont été consacrées à des choses simples : « Se battre chaque jour pour respirer, pour manger, pour parler. » Il est aujourd’hui toujours tributaire d’une trachéotomie, une ouverture pratiquée dans la trachée pour respirer. Newsletter « Chaleur humaine » Comment faire face au défi climatique ? Chaque semaine, nos meilleurs articles sur le sujet S’inscrire

La perspective de la réautorisation européenne du glyphosate, qui doit être discutée à Bruxelles les 12 et 13 octobre par la Commission et les Etats-membres, n’est pas non plus étrangère à la publicité que souhaite aujourd’hui donner la famille à la décision du FIVP. « Voir aujourd’hui des politiques, des journalistes et des leaders d’opinion plaider le renouvellement du glyphosate en affirmant que “la science a parlé”, que “ce produit ne pose aucun problème”, etc., cela nous est insupportable, dit Mme Grataloup. La décision du FIVP ne relève pas du militantisme ou de la compassion, mais d’une expertise scientifique. » Lire aussi : Article réservé à nos abonnés L’Union européenne divisée sur la proposition de la Commission de réautoriser le glyphosate pour dix ans Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections

Le FIVP a été créé par la loi de 2020 sur le financement de la Sécurité sociale ; c’est une instance ad hoc attachée au fonds, la Commission d’indemnisation des enfants victimes d’une exposition prénatale aux pesticides, qui est chargée de statuer sur les demandes. Pour le cas de Théo Grataloup, la commission était composée de cinq chercheurs et-ou médecins d’université ou d’organismes de recherche publics, spécialistes des effets sanitaires des pesticides, des liens entre santé et environnement ou encore des malformations congénitales.

« Juger de la présomption du lien entre l’exposition prénatale à des pesticides et ces malformations n’a pas toujours été facile, dit Béatrice Fervers, membre de la commission et cheffe du département Prévention Cancer Environnement du Centre Léon-Bérard à Lyon. En l’absence d’un tableau de maladie professionnelle, ou d’une classification de tératogénicité [avis collégial d’une institution d’expertise sur la capacité d’une substance à générer des malformations], nous avons dûrevenir à l’examen de la littérature scientifique, notamment à l’expertise collective de l’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale, parue en juin 2021]. »

« Monsanto Papers »

Des éléments suggérant la tératogénicité d’herbicides à base de glyphosate ont été publiés par des chercheurs brésiliens dans Toxicology Letters dès 2003, après une étude sur des rongeurs de laboratoire. Un mécanisme d’action a été proposé par des biologistes argentins conduits par Andrés Carrasco, publié en 2010 dans Chemical Research in Toxicology. Cependant, ces travaux n’entrant pas dans le cadre des tests réglementaires exigés par les agences sanitaires, le glyphosate et les herbicides à base de glyphosate ne sont pas considérés comme tératogènes par les autorités, et ne sont donc pas étiquetés comme tels. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le glyphosate est-il toxique ? Entre l’Inserm et les agences réglementaires, des conclusions divergentes Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections

Les malformations dont souffre Théo Grataloup, une rupture de la continuité de l’œsophage(« atrésie de l’œsophage dans un contexte de syndrome polymalformatif », selon le libellé du FIVP) sont cependant très rares. En octobre 2016, Mme Grataloup avait rencontré à La Haye (Pays-Bas), à l’occasion du « Tribunal Monsanto » – un procès fictif de la firme organisé par des organisations non gouvernementales, des juristes et des collectifs de victimes des pesticides – une habitante de l’une des régions d’Argentine les plus consommatrices d’herbicides à base de glyphosate dont l’un des enfants était victime de malformations analogues à celle de son fils.

Les poursuites engagées en 2018 par la famille Grataloup reposent aussi en partie sur certaines informations présentes dans les « Monsanto Papers ». Ces documents internes de la société agrochimique américaine, révélés par Le Monde en 2017, indiquaient que l’entreprise n’avait pas conduit de tests ou d’études susceptibles de détecter le caractère potentiellement tératogène des désherbants commerciaux contenant sa molécule-phare. Lire aussi l’archive de 2017 : Article réservé à nos abonnés « Monsanto papers », désinformation organisée autour du glyphosate Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections

En mars 2013, l’un des cadres de Monsanto l’explique, dans un courriel interne, à un de ses collègues : « Nous ne conduisons pas de tests chroniques, subchroniques ou d’études de tératogénicité sur nos formulations, écrit-il. L’exposition sur le long terme est évaluée en accord avec la réglementation, en faisant des études de cancérogénicité avec l’ingrédient actif seul, le glyphosate. » Or les toxicologues de la société, dans d’autres messages, ne font pas mystère de leurs doutes. Au début des années 2000, l’un d’eux l’écrit à ses pairs : « Si quelqu’un venait me dire qu’il veut tester le Roundup [du nom de la principale formulation à base de glyphosate], je sais comment je réagirais : avec une sérieuse inquiétude. » Monsanto puis son nouveau propriétaire, Bayer, ont toujours nié la réalité de tout potentiel tératogène au glyphosate et aux produits contenant cette substance active.