Loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale

15 février 2022 | Actualités / Sénat

Lettre aux élus de la Charente

Madame, Monsieur,

Après un premier examen au Sénat à l’été 2021, le projet de loi « différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification », plus communément appelé « 3DS », a été définitivement adopté le 9 février dernier.

Avec mes collègues sénatrices et sénateurs du groupe socialiste,  j’ai voté en faveur de ce texte.

L’honnêteté oblige à reconnaitre qu’il n’est pourtant pas tout à fait à la hauteur des attentes suscitées, et traduit très imparfaitement l’engagement du Président de la République d’ouvrir « une nouvelle donne territoriale ». Son ambition décentralisatrice est tout à fait modeste : il se résume pour l’essentiel à un assemblage de mesures disparates et techniques sans cohérence véritable.

Pour autant, parmi les quelques 270 articles de cette loi, on compte des correctifs utiles et des améliorations bienvenues, et ce sont pour ces quelques mesures positives, dont mon groupe a parfois été l’initiateur, que j’ai décidé de voter en faveur de ce texte.

Parmi les motifs de satisfaction, je retiendrais les points suivants :

  • Les régions et départements, par délibération de leur assemblée, pourront désormais soumettre au Premier ministre des propositions de modification ou d’adaptation législatives ou réglementaires ; cette mesure devra permettre de renforcer le principe de différenciation, réduite à la portion congrue dans le projet initial du gouvernement.
  • La possibilité nouvelle d’un transfert « à la carte » des compétences facultatives des communes vers l’établissement public de coopération intercommunale. Je suis convaincue que c’est un mécanisme équilibré qui offre une souplesse bienvenue sans remettre en cause l’édifice intercommunal puisque ce transfert à la carte ne pourra concerner que les compétences facultatives. Le détricotage de l’intercommunalité est pour moi une ligne rouge et de ce point de vue je me réjouis que les tentatives de la majorité sénatoriale en ce sens aient échoué.
  • Le compromis trouvé sur le transfert des routes nationales aux départements et régions. Si le texte ne garantit pas formellement de droit de priorité aux départements en cas de demandes concurrentes entre un département et une région, l’accent mis par le texte sur l’expertise technique des départements en matière de routes et la nécessaire cohérence des itinéraires et des moyens d’exploitation et de maintenance, plaide pour eux. J’y veillerai.
  • Sur le volet social de la loi, les mesures socialement régressives en matière de revenu de solidarité active (RSA) adoptées par la majorité sénatoriale ont heureusement été supprimées. Je veux également retenir l’adoption de deux expérimentations, la première relative à la recentralisation du RSA, la seconde en matière de lutte contre le non-recours aux droits et prestations sociales. Sur ce second point, s’agissant du RSA par exemple, selon un récent rapport de la Cour des comptes, près d’un bénéficiaire potentiel sur trois ne le touche pas. L’expérimentation prévue est clairement moins ambitieuse que la réforme que mon groupe et moi-même avions proposée dans une proposition de loi en juin dernier. Mais au regard de l’urgence, toute avancée, aussi minime soit-elle, doit être encouragée.
  • Enfin, sur des secteurs déterminés, tels que les mobilités, le logement ou la culture, le texte comprend plusieurs mesures utiles qui confèrent de nouveaux pouvoirs aux élus. Ainsi, la possibilité pour les conseils régionaux de développer des systèmes de transport léger autonome sur rail sur d’anciennes voies ferrées en zone peu dense ; la possibilité pour les gestionnaires des résidences universitaires de louer leurs logements vacants pour de courtes durées à des publics prioritaires comme les personnes mal logées ou exposées à des situations d’habitat indigne ; la possibilité pour les communes et départements de verser des subventions pour la création de salles de cinémas de petite taille ou d’art et d’essai.

Pour autant, j’aurais espéré un texte plus ambitieux qui inaugure une nouvelle « ère de la décentralisation ». C’est le sens des amendements que mon groupe et moi-même avons proposés.

Je regrette notamment que des mesures pourtant nécessaires à l’approfondissement de la décentralisation aient fait les frais du compromis entre l’Assemblée nationale et le Sénat, essentiellement en raison de l’opposition du gouvernement. J’en citerai quelques-unes :

  • Le transfert aux régions d’une compétence en matière de coordination du service public de l’emploi, de formation professionnelle et d’apprentissage, pourtant nécessaire pour affirmer leur place stratégique en matière de développement économique durable.
  • le renforcement du pouvoir réglementaire des régions pour leur permettre de disposer de plus de marge d’action concernant les aides qu’elles octroient, par exemple, en faveur de l’installation ou du maintien des professionnels de santé
  • les élus locaux sont aux avant-postes de la crise sanitaire, pourtant la co-présidence de l’Agence régionale de santé par le président de région a été refusée. Dans le même esprit, nous avions proposé de modifier la gouvernance des conseils de surveillance des établissements hospitaliers pour y renforcer la place des élus locaux, mais le gouvernement comme la droite sénatoriale s’y sont opposés.
  • un mécanisme d’actualisation du coût des compétences transférés qui aurait permis de réviser tous les cinq ans le coût d’exercice et de gestion de ces transferts pour tenir compte de l’inflation, du coût actualisé de l’exercice des compétences transférées et du nombre de bénéficiaires directs et indirects de ces dernières.
  • le renforcement des prérogatives du conseil national des normes qui aurait été bienvenu s’agissant d’un texte qui prétend à la simplification, alors même que cette dernière est une attente essentielle de tous les élus.

Autant de regrets qui sont la preuve que les chantiers sont encore nombreux en matière de décentralisation. En raison du prisme trop centralisateur du président de la République, il n’aura pas été possible de les faire aboutir au cours de ce quinquennat.

Pourtant, de la crise des « gilets jaunes » à la crise sanitaire, l’excès de centralisation a démontré ses limites et ses travers. Cela ne signifie pas que l’État doit s’effacer devant les collectivités territoriales, mais qu’il doit en être réellement le partenaire.

Je crois à un État fort qui assure l’unité nationale et l’égalité entre ses citoyens où qu’ils se trouvent sur le territoire, en métropole comme en outre-mer. Toutefois, si l’État est le garant de ces principes, l’État centralisateur n’en est plus l’unique condition.

Cela signifie que l’État doit tirer toutes les conséquences des compétences décentralisées et qu’il ne peut plus conserver une présence et un rôle dans ces domaines, mobilisant ainsi des moyens humains et financiers qui seraient plus utiles à l’exercice de missions régaliennes ou prioritaires. Cela suppose que l’État doit également consentir à de nouveaux transferts de compétences lorsque les collectivités territoriales les sollicitent. Enfin, il nous semble nécessaire que l’État garantisse aux collectivités les moyens de leur autonomie financière par la création d’une loi de financement des collectivités territoriales, la redéfinition du ratio d’autonomie financière, la révision des dotations de l’État, la réforme fiscale ou encore la compensation intégrale et évolutive de transfert de charges de l’État.

C’est un chantier considérable et exaltant. Je forme le vœu que le prochain quinquennat permettra d’en bâtir les fondations.

Je vous prie de croire, Madame, Monsieur, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

Nicole BONNEFOY