Suppression de la taxe professionnelle : quelles conséquences ?

21 décembre 2009 | Tribune libre

[ Tribune libre du 21/12/09 de Nicole Bonnefoy ]

Taxe Professionnelle

La suppression de la taxe professionnelle deviendra effective le 1er janvier 2010. Cette perte pour les collectivités est sensée être compensée par le transfert d’impôts perçus par l’Etat,  par la création de nouveaux impôts, ainsi que  par des dotations budgétaires. La  situation n’est pas aussi simple que cela. La suppression de cette taxe a  été fortement dénoncée par les sénateurs socialistes, puisqu’elle fait disparaître la principale ressource des collectivités locales.

J’avais déjà mis en ligne la lettre que nous avions transmise, avec Michel Boutant, à l’ensemble des maires de Charente, dans le but de  les informer des conséquences du projet de suppression de cette  taxe. Nous avons d’ailleurs mis en place de nombreuses réunions d’information, afin de sensibiliser le maximum de citoyens aux  enjeux de cette réforme. Désormais, la suppression de la taxe professionnelle est actée et nous avons entamé avec elle, le 15 décembre dernier, le premier volet de la réforme territoriale qui se poursuivra au cours de l’année 2010.

Je tenais  à vous écrire ces quelques lignes, afin de poursuivre   ce travail d’information et de sensibilisation déjà engagé,  quant aux conséquences de la suppression de la taxe professionnelle ainsi qu’à la manière dont elle va impacter    les élus locaux et notre vie quotidienne.

Re-centralisation et mise sous tutelle des collectivités.

La suppression de la taxe professionnelle ainsi que la réforme territoriale qui s’engage, mettent tout simplement en place une vaste opération de démantèlement de la décentralisation.

Il est créé, à compter de 2011, trois Dotations de Compensation de la Réforme de la Taxe professionnelle (DCRTP) et trois Fonds nationaux de garantie individuelle des ressources (FNGIR), pour chaque niveau de collectivités territoriales.

En remplaçant un impôt, la taxe professionnelle, par une dotation, la « Contribution Economique de Territoire », l’Etat met sous tutelle financière nos collectivités.

L’Etat a donc désormais le libre choix de la répartition des richesses sur le territoire et pourra ainsi  l’adapter en fonction de ses priorités. Cette situation fait disparaître toute forme d’autonomie financière de nos collectivités et leur ôte, par la même occasion, toute capacité d’initiative et de réactivité.

La suppression du FDPTP (Fond Départemental de Péréquation de la Taxe Professionnelle) aura un impact terrible sur les finances des petites collectivités locales, parfois dépendantes de cette ressource.

L’autonomie fiscale, pourtant essentielle à la démocratie locale, chute littéralement. Les collectivités ne pourront plus se considérer financièrement autonomes qu’à hauteur de :
– 10 % de leurs budgets pour les régions
– 12 % pour les départements
– moins de 30 % pour les communes.

Cette recentralisation décisionnaire et fiscale débouche sur le fait que ce sera désormais à nous, élus locaux, d’assumer les choix politiques et fiscaux de l’Etat.

Un désengagement financier de l’Etat :

Depuis déjà plusieurs années, la non-compensation par  l’Etat de transferts de charge se multiplie. Cette pratique asphyxie financièrement les collectivités. Elle a été unanimement condamnée par des élus locaux de tous bords politiques ! Cette volonté s’inscrit dans une politique plus large de désengagement de l’Etat, qui est menée depuis quelques temps.

Les trois dernières lois de finances (LF)  illustrent ce désengagement :
– La LF pour 2008 a supprimé le contrat de croissance et de solidarité
– Celle  pour 2009 a supprimé l’indexation de la dotation globale de fonctionnement
– Quant à la LF pour 2010, qui vient d’être votée, elle voit la dotation globale de fonctionnement n’augmenter que de 0,6 % alors que dans le même temps,  les dotations de compensation baissent de près de 6 %.

Dans la loi de programmation des finances publiques pour 2009-2012, il est prévu une baisse progressive des concours de l’Etat aux collectivités locales.

Concours de l’Etat aux collectivités locales :
2009 : +2%
2010 : +1,74%
2011 : +1,71%
2012 : +1,68

Dans cette même loi de programmation, le Fonds de compensation de la TVA a été intégré dans l’enveloppe fermée des dotations. Ce désengagement progressif est à contre-courant de l’augmentation des besoins de nos collectivités, d’autant plus évidente vu  la disparition progressive et désormais inéluctable de leur autonomie financière.

Le Gouvernement n’a pas souhaité prendre en compte la hausse de la taxe professionnelle de 2009 pour le calcul de la dotation de compensation en 2010 versée aux collectivités. Par conséquent, la compensation ne sera pas totale.

Les collectivités territoriales perdront bel et bien des recettes dès l’année 2010. En effet, même si la nouvelle contribution économique territoriale permettra peut-être aux collectivités de percevoir un peu plus d’impôt que de dotation, la perte restera réelle, à hauteur de 10 milliards d’euros. L’année 2010 servant d’année de référence aux compensations futures, cette perte sera donc pérenne !

Les conséquences pour les collectivités

La réforme fiscale de nos collectivités va bien évidemment bouleverser leur fonctionnement :

La suppression de la taxe professionnelle a un impact conséquent sur les ressources propres des collectivités, avec des baisses de :
– 30% pour les communes
– 26% pour les régions
– 24% pour les départements

C’est  près de 30 milliards d’euros que l’Etat va devoir compenser, s’il veut que les collectivités locales ne subissent pas de perte de revenus.

Les communes et les intercommunalités percevaient 16,5 milliards d’euros de taxe professionnelle. Le produit de la nouvelle cotisation économique territoriale ne sera que de 5,5 milliards, selon les premières projections. La perte sera donc de 11 milliards d’euros !

Le gouvernement a décidé de réintégrer le ticket modérateur à compter de 2013 à la charge des communes et des EPCI. Cette charge supplémentaire va peser sur leurs budgets !

Le Ministère de l’Intérieur a, d’ores et déjà, annoncé que l’année prochaine, 25 départements seront en très grande difficulté pour équilibrer leurs budgets. En 2011, ils seront 37 !

Le lien entre entreprise et territoire est rompu et la compétitivité des entreprises ne sera pas renforcée. L’attractivité de nos territoires ne se règle pas uniquement par la question fiscale, même si c’est un argument récurrent du Gouvernement. Demain, les entreprises auront à pâtir, elles aussi,  du retrait des collectivités territoriales dans le financement et le soutien du développement économique. La diminution des services publics de proximité, que cela soit au niveau de l’attractivité du territoire comme  de l’entretien de certaines infrastructures sera très néfaste aux entreprises. Sans attractivité de nos territoires, les entreprises seront, elles aussi, perdantes !

Si les élus locaux n’ont plus la capacité de fixer l’impôt, ils ne pourront plus mener des politiques en adéquation avec les attentes des citoyens. L’Etat va désormais pouvoir fixer une grande part des ressources des collectivités. Nous allons donc assister à une déconnexion entre les prises de décision financières et les réalités locales.

Pouvoir lever l’impôt, c’est permettre d’ être réactif aux besoins de ses administrés, en l’augmentant pour financer des projets importants, mais aussi en sachant le baisser, quand cela est possible.

La mise en place de cette dotation met les départements et les régions dans une imprévisibilité et une insécurité financières graves !

Quels impacts dans notre vie quotidienne ?

Cette réforme n’est pas qu’une affaire de technocrates. Elle va avoir des conséquences directes sur  la vie quotidienne des français.

Ce sont nos services publics de proximité qui sont gravement menacés : le financement de nos crèches, des transports scolaires, d’infrastructures éducatives ou sportives, de l’accès à la culture, de la vie associative, de l’aide aux personnes âgées … Nos collectivités recrutent, créent de l’activité, aménagent le territoire et surtout génèrent du lien social. En somme, elles remplissent leur rôle !

Le risque est simple et bien connu : le transfert au secteur privé d’un ensemble de services, jusqu’à présent  assurés par les collectivités, creusant un peu plus le fossé des inégalités sociales. Les plus aisés pourront autofinancer certains services,  les autres non. De plus, si les collectivités, premier recruteur de l’Etat, ne sont  plus autonomes, elles ne pourront plus embaucher : c’est l’emploi qui va, une fois de plus, en subir les conséquences !

Par ailleurs, avec la création annoncée des conseillers territoriaux, il y aura moitié moins d’élus dans nos territoires. C’est à dire moins de personnes sur le terrain, à  écouter, à prendre conscience des réalités locales et à agir en faveur de leurs administrés.

Avec la suppression de la taxe professionnelle, l’Etat devra assumer en 2010 un déficit supplémentaire de 11 milliards d’euros, puis de 5 Milliards d’euros chaque année à compter de 2011. A terme, ce sera aux ménages de financer cette réforme, avec une hausse d’impôt inévitable pour payer le déficit public. De la même manière les collectivités ne disposeront plus, à l’avenir, que de ce  seul impôt pesant sur les ménages pour financer le service public local. Comme à l’accoutumée, les plus modestes vont en subir les conséquences.

Des chiffres à ne pas oublier :

Je tiens à rappeler, comme je l’ai fait récemment au Sénat, lors de la présentation du premier volet officiel de la réforme territoriale, des chiffres incontestables qui démontrent bel et bien le mauvais diagnostic sur lequel se fonde cette réforme. Je crois, en effet, nécessaire d’apprécier toutes les dimensions de la réforme fiscale de nos collectivités, au sein de laquelle  la suppression de la taxe professionnelle n’est qu’une première étape.

Pour justifier sa réforme, M. Sarkozy a montré du doigt les collectivités territoriales en indiquant qu’elles étaient, elles-mêmes, les principales responsables de cette réforme. Nous avons ainsi pu entendre qu’elles étaient mal gérées, que les élus locaux en étaient en partie la cause, notamment en raison de leur nombre jugé excessif, et que ceux-ci étaient responsables de la dette et de la hausse de la fiscalité. En somme, on nous a expliqué que les collectivités coûtaient trop cher et qu’elles constituaient un poids sur les finances publiques.

Ces constats sont faux ! Il faut absolument que chacun d’entre nous ait conscience de la réalité :
– 73% des investissements publics sont effectués par les collectivités locales
– Les collectivités ont investi 54 milliards d’euros pour la relance, contre seulement 24 de la part de l’Etat !
– Enfin, qu’elles représentent seulement 10% de la dette publique, contre 90% pour l’Etat.

Ces chiffres démontrent, non seulement, que les collectivités ne nous coûtent pas «trop cher», mais également qu’elles sont dérisoirement endettées à coté de l’Etat.

Sans nos collectivités, l’investissement public va chuter, les services publics de proximité  se dégrader et notre démocratie locale se trouver dangereusement menacée  !

Quels enseignements en tirer ?

Ce sont les élus, les associations et les institutions, au plus proche des citoyens, qui font vivre les territoires. Si l’intégralité des décisions est centralisée et prise par l’Etat, le risque encouru consiste en  une déconnexion des réalités locales et une impossibilité de  fournir les besoins. Je crois que le Gouvernement actuel s’est trompé de diagnostic : les collectivités locales et territoriales sont une richesse,  pas un coût !

Comme nous l’avions indiqué avec M. Michel Boutant, dans le courrier adressé à l’ensemble des maires de Charente, il faut comprendre  cette réforme fiscale en fonction du contexte dans lequel elle s’inscrit.

Depuis 2007, un mouvement de fond a été mis en place, visant à libéraliser notre société. Les services publics sont démantelés un par un. On supprime les Tribunaux d’Instance, on privatise la Poste, on ferme les hôpitaux et de manière plus générale, on s’attaque à notre système de soins en augmentant le forfait hospitalier, en dé-remboursant des médicaments ou en mettant en place le secteur optionnel ! Le remplacement de la taxe professionnelle par un impôt risque de déboucher à la mise en place d’un système entrepreneurial de nos services publics, comme cela s’est fait en juin dernier pour nos hôpitaux avec la loi Hôpital Patient Santé Territoire ! Demain, il faudra très certainement penser en terme de  rendement, subir des pressions financières et à terme, avoir recours au secteur privé pour de nombreux services que la collectivité vous offrait jusqu’à lors.

Le gouvernement actuel craint les contre-pouvoirs locaux. Il veut s’assurer la majorité sur l’ensemble du territoire. Il redécoupe les circonscriptions électorales, veut modifier le mode de scrutin en sa faveur par le biais d’un scrutin majoritaire à un seul tour, pour l’élection de son fameux « conseiller territorial ». En supprimant l’autonomie financière des collectivités et en renforçant le rôle des préfets, nommés par le pouvoir exécutif, le Gouvernement actuel veut s’assurer qu’il aura, demain, les pleins pouvoirs sur l’ensemble du territoire. On est en train de nous imposer le monopartisme !

La réforme territoriale a « officiellement » commencé le 15 décembre dernier. Les sénateurs socialistes et moi-même nous sommes  mobilisés lors de la discussion de ce premier texte, afin de faire entendre notre divergence. Le texte central de cette réforme sera débattu en janvier prochain et les socialistes continueront à faire entendre leurs voix, car, la grande perdante de cette réforme, c’est avant tout notre démocratie locale. ( Note du groupe socialiste du Sénat )

En savoir + :

Article 76 de la loi de finances pour 2010 instituant les clauses de revoyures
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Revue de presse :

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Communiqués de presse du groupe socialiste :

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